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s’agenouiller devant la sainte Vierge ! arrêtez-les ! arrêtez-les !

La voix des cordeliers ne parvint pas aux oreilles de la bande d’énergumènes acharnés à leur proie ; ils poussaient des hurlements sauvages en assommant, non pas un hérétique, mais un catholique, coupable de se refuser à une adoration imposée brutalement, et qu’il eût accomplie de son plein gré. Ce malheureux, après s’être courageusement défendu à coups de canne, sa seule arme, mais accablé par le nombre, gisait livide, sanglant, presque inanimé, sur le pavé, où une horrible mégère le traînait par les cheveux, tandis que d’autres forcenés lui lançaient des coups de pied à la figure.

— Miséricorde !… — criait-il d’une voix éteinte ; — Jésus ! mon Dieu !… ayez pitié de moi !…

Ce furent ses dernières paroles ; bientôt il ne cria plus… Le boucher avec qui Christian avait échangé quelques mots accourut se joindre aux bourreaux ; après s’être pieusement agenouillé devant la statue de la Vierge, il tira son couteau, le brandit et s’écria :

— Saint Jacques ! laissez-moi saigner le luthérien, cela me vaudra bien une indulgence… et puis c’est mon état de saigner les animaux !…

Des éclats de rire féroces accueillirent la sanglante raillerie du boucher, on lui fit place auprès du cadavre ; il s’accroupit sur ce corps pantelant, scia le cou avec son couteau, détacha la tête du tronc, la saisit par sa chevelure, et montrant cet épouvantable trophée à la foule, il s’écria avec une exaltation farouche :

— Ce chien d’hérétique ne voulait pas s’incliner devant la mère du Sauveur… il mettra devant elle le front sur le pavé !

Ainsi dit, ainsi fait. Le boucher, suivi de la bande forcenée, court vers le reposoir, tenant de ses mains rouges et fumantes de sang la tête cadavéreuse ; il s’agenouille et la dépose, le front contre terre, au pied de la statue de Marie, à l’acclamation sauvage des autres assassins, pieusement agenouillés comme lui.

— Ah ! monsieur, c’est affreux ! — murmura Christian d’une