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cet acte de dévotion, la bande féroce, déchaînée par les moines, courait sus au luthérien, le rouait de coups, et souvent il demeurait assommé sur la place. Toutes les personnes qui précédèrent Christian et l’inconnu allèrent, soit par piété, soit par crainte, se mettre à genoux au pied de l’image de la Vierge, après quoi chacun en se relevant déposait son offrande dans la bourse tendue par les deux cordeliers. Un homme jeune encore, frêle et de petite stature, derrière qui se trouvait Christian, dit à demi-voix en se préparant à faire jouer le tourniquet, afin de sortir du guichet :

— Je suis catholique, mais, sang-Dieu ! j’aime mieux être écharpé que de subir une si indigne oppression !

— Vous auriez tort… — lui dit tout bas Christian, — cette indignité me révolte ainsi que vous ; mais que faire contre la force ?

— Protester au péril de sa vie ! car de pareils excès déshonorent la religion, — répondit cet honnête homme à Christian. Et sortant du guichet d’un pas ferme, il traversa la place sans tourner la tête du côté du reposoir, mais a peine l’eut-il dépassé, que les gens déguenillés, groupés auprès des moines, s’élançant à la poursuite de ce malheureux, l’atteignirent et l’enveloppèrent en hurlant : — Hérétique ! luthérien ! — Il outrage l’image de la mère du Sauveur ! — À genoux ! — Le parpaillot ! à genoux !

Pendant que ces fanatiques entouraient leur victime, Christian dit à son compagnon :

— Profitons du tumulte pour échapper à ces bêtes féroces ; malheureusement il est inutile d’essayer de soustraire à leur fureur insensée cet homme de cœur qu’ils assaillent. Hélas ! c’est fait de lui, je le crains…

Christian et l’inconnu sortirent à leur tour du guichet et traversèrent la place, se dirigeant en hâte vers son autre issue, sans s’arrêter devant le reposoir ; les moines, les remarquant, s’écrièrent, mais trop tard :

— Voilà deux autres hérétiques ! ils se sauvent afin de ne pas