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Saint-Antoine arde ces musards qui avancent si lentement sous le guichet ! je n’aurai pas vu assommer ce maudit !

— Mon ami, — dit le mystérieux compagnon de Christian au boucher, — ce sont donc de bien grands scélérats, ces luthériens ? Je vous adresse cette question en ma qualité d’étranger…

Vingt voix s’empressèrent charitablement de répondre à l’inconnu, alors tellement engagé, ainsi que Christian, au milieu de la foule toujours grossissant, qu’ils durent se résigner à attendre leur tour pour traverser le guichet.

— Pauvre homme ! d’où sortez-vous donc ? — disait l’un, s’adressant à l’inconnu. — Quoi ! vous demandez si les luthériens sont des scélérats ?

Et chacun de citer à l’envi les scélératesses des réformés :

— Ils lisent la Bible en français !

— Ils ne se confessent point !

— Ils ne chantent pas la messe.

— Ils ne croient ni au pape, ni aux saints, ni aux reliques !

— Ni au sang de notre Sauveur !… ni à la goutte de lait de sa sainte mère !… ni à la miraculeuse dent de saint Loup !

— Et par quoi remplacent-ils la sainte messe… ces forcenés ? Par des sabbats, par des orgies abominables !

— Oui, oui, c’est la vérité…

— J’ai connu, moi qui vous parle, le fils d’un tailleur qui s’est laissé une fois prendre à la glu de ces suppôts du démon… Voici ce qu’il a vu… il me l’a raconté le lendemain[1].

— Écoutons… écoutons.

— Les luthériens se sont rassemblés la nuit… à minuit, dans une vaste cave, hommes, filles et femmes pour célébrer leur lutherie. Un riche bourgeois, demeurant dans la même rue que le tailleur, assistait à ce sabbat avec ses deux jeunes filles. Quand tous ces

  1. Voir, pour ces horribles calomnies du clergé et la scène du reposoir, de Thou, t. I, L.II, p. 97.