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— Ce proscrit est digne de votre amitié, monsieur Estienne, ai-je besoin d’en savoir davantage ?

— Sans vous livrer un secret qui n’est pas le mien, il m’est cependant permis de vous apprendre que ce proscrit est le plus courageux des apôtres de la réforme. Je dois donc uniquement à votre attachement le service que vous me rendez, puisque, en accordant un asile à mon ami, vous ignoriez être en communion d’idées. Votre acte généreux vous est dicté par votre affection pour moi et pour les miens ; à mon tour aussi, je contracte une dette de gratitude envers vous et les vôtres. À ce sujet, Christian, — ajouta maître Robert d’un accent pénétré, — laissez-moi vous exprimer toute ma pensée sur votre fils. Depuis quelque temps nous nous sommes souvent entretenus du chagrin qu’il vous causait ; je le regrette doublement, car j’attendais beaucoup d’Hervé. Il montrait même en dehors de la pratique de notre art, où il commence à exceller, des aptitudes variées ; son savoir précoce, sa rare intelligence, le don naturel d’une éloquence chaleureuse, le rangeaient, à mes yeux, parmi ce petit nombre d’hommes destinés à briller dans quelque carrière qu’ils embrassent ; enfin, ce qui primait, selon moi, chez Hervé, ces avantages de l’esprit, c’était la bonté, la droiture de son cœur ; mais ses habitudes sont devenues irrégulières ; son caractère affectueux, ouvert, expansif, semble transformé. Je me suis jusqu’ici toujours gardé de lui témoigner l’affliction que je ressentais de sa conduite ; cependant il a conservé pour moi, je le crois, de l’attachement, du respect ; m’autorisez-vous à avoir avec lui une conversation sérieuse, paternelle ? peut-être aurait-elle un résultat salutaire ?

— Je vous remercie, monsieur Estienne, de cette offre ; mais j’ai lieu à espérer que mon fils, dès aujourd’hui, est revenu à des pensées meilleures, qu’un soudain et heureux changement s’est opéré en lui… car… Christian ne put achever ; il fut interrompu par l’arrivée de madame Estienne, belle jeune femme d’une figure douce et grave, qui entra précipitamment dans l’atelier et dit à