Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acquises et dues à sa prodigieuse intelligence du négoce. L’heure de cette pillerie était propice. Au conseil royal, d’abord composé de bourgeois probes, intelligents, dévoués au bien public, succédait un assemblage de gens de cour, et parmi eux, le fils de La Trémouille, digne héritier de son père. Ce conseil prêta les mains à cette abominable spoliation, assuré d’avoir largement part à la curée. Antoinette de Villequier et son mari, qui vivait grassement de l’adultère de sa femme, furent des plus âpres à cette convoitise. Les trésors de Jacques Cœur étaient considérables ; il faisait le plus noble usage de sa fortune. Comme les Médicis, en Italie, il encourageait les arts avec une rare intelligence du beau ; il avait fait bâtir à Bourges, sa ville natale, un chef-d’œuvre d’architecture, orné de tableaux et de statues d’un grand prix. Un pareil luxe déployé par un misérable bourgeois, fils d’un mercier, révoltait d’autant plus les gens de cour, que presque tous devaient à l’argentier Jacques Cœur de grosses sommes généreusement prêtées ; ces vautours de palais, comptant aussi sur la curée, ou tout du moins se soustraire au payement de leurs dettes, entrèrent dans la ligue formée contre l’argentier. Parmi ceux-là, citons d’abord un soudard coupable de crimes sans nombre, féroce émule de Gaucourt, et fort dans les bonnes grâces du roi : le comte de Dammartin ; puis le fils de La Trémouille, les sires de La Fayette et de Cadillac, principaux débiteurs de Jacques Cœur. Ils commencèrent par répandre le bruit qu’il avait empoisonné Agnès Sorel ; puis, lorsque cette calomnie, aussi atroce qu’insensée, eut pris quelque consistance, une femme de la cour, Jeanne de Vendôme, de qui le mari comptait au nombre des principaux débiteurs de l’argentier, l’accusa formellement auprès de Charles VII de l’empoisonnement d’Agnès Sorel. Chacun la savait morte des suites d’une couche malheureuse, chacun connaissait aussi son estime, son affection pour Jacques Cœur, choisi par elle exécuteur de ses volontés dernières ; mais les gens de cour espéraient, grâce à cette accusation monstrueuse, déchaîner l’opinion publique contre l’argentier, uni-