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Et ce disant, le voiturier essuya son front baigné de sueur.

— Vous avez dû avoir bien de la peine à apporter tout seul ces ballots ? — lui dit madame Lebrenn avec bonté, et ouvrant le tiroir qui lui servait de caisse, elle y prit une pièce de dix sous, qu’elle fit glisser sur le comptoir. — Veuillez prendre ceci pour vous.

— Je vous rends mille grâces, madame, — répondit en souriant le voiturier ; — je suis payé.

— Les commissionnaires rendent mille grâces et refusent des pourboires ! — se dit Gildas. — Étonnante… étonnante maison que celle-ci !…

Madame Lebrenn, assez surprise de la manière dont le refus du voiturier était formulé, leva les yeux, et vit un homme de trente ans environ, d’une figure agréable, et qui avait, chose assez rare chez un porte-faix, les mains très-blanches, très-soignées, et une très-belle bague chevalière en or au petit doigt.

— Pourriez-vous me dire, monsieur, — lui demanda la femme du marchand, — si aujourd’hui l’agitation augmente beaucoup dans Paris ?

— Beaucoup, madame ; c’est à peine si l’on peut circuler sur le boulevard… Les troupes arrivent de toutes parts ; il y a de l’artillerie mèche allumée ici près, en face le Gymnase… J’ai rencontré deux escadrons de dragons en patrouille, la carabine au poing… On bat partout le rappel… quoique la garde nationale se montre fort peu empressée… Mais, pardon, madame, — ajouta le voiturier en saluant très-poliment madame Lebrenn et sa fille ; — voici bientôt quatre heures… Je suis pressé.

Il sortit, s’attela de nouveau à sa charrette et repartit rapidement.

En entendant parler de l’artillerie, stationnant dans le voisinage, mèche allumée, les étonnements de Gildas devinrent énormes ; cependant, partagé entre la crainte et la curiosité, il hasarda de jeter un nouveau coup d’œil dans cette terrible rue Saint-Denis, si voisine de l’artillerie.