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du bien que vous nous voulez… Je ne vous parle point de moi… l’on me donnerait la croix d’honneur que je ne serais pas plus glorieux.

— Ce brave Lebrenn, il est ravissant.

— Serviteur, monsieur… serviteur de tout mon cœur, — dit le marchand en s’éloignant.

Cependant, au moment où il atteignait la porte, il parut se raviser, se gratta l’oreille et revint vers M. de Plouernel.

— Eh bien ! qu’est-ce, mon cher ? — dit le comte, surpris de ce retour ; qu’y a-t-il ?

— Il y a, monsieur, — poursuivit le marchant en se grattant toujours l’oreille, — il y a que j’ai comme une idée… pardon de la liberté grande…

— Parbleu, à votre aise. Pourquoi donc n’auriez-vous pas d’idées… tout comme un autre ?

— C’est vrai, monsieur ; parfois les petits tout comme les grands n’en chevissent point… d’idées.

— N’en chevissent point… quel est ce diable de mot-là ?

— Un honnête vieux mot, monsieur, qui veut dire manquer ; Molière l’emploie souvent.

— Comment, Molière ? — dit le comte surpris ; — vous lisez Molière, mon cher ? En effet, je remarquais tout à l’heure, à part moi, que vous vous serviez souvent du vieux langage.

— Je m’en vas vous dire pourquoi cela, monsieur : quand j’ai vu que vous me parliez environ comme don Juan parle à monsieur Dimanche, ou Dorante à monsieur Jourdain…

— Qu’est-ce à dire ? — s’écria M. de Plouernel de plus en plus surpris, et commençant à se douter que le marchand n’était pas si simple qu’il paraissait, — que signifie cela ?

— … Alors, moi, — poursuivit M. Lebrenn avec sa bonhomie narquoise, — alors, moi, afin de correspondre à l’honneur que vous me faisiez, monsieur, j’ai pris à mon tour le langage de monsieur Dimanche ou de monsieur Jourdain… pardon de la liberté grande…