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— J’entends… Pour le contraste, n’est-ce pas, cher oncle ?

— Nécessairement… On ne s’aperçoit de la profondeur des vallées qu’à la hauteur des montagnes. Mais assez philosopher… Tu le sais, j’ai le coup d’œil juste, prompt et sûr… la position est telle que je te le dis… Je te le répète, fais comme moi, réalise toutes tes valeurs négociables en or et en bon papier sur Londres, envoie ta démission aujourd’hui, et partons demain. L’aveuglement de ces gens-là est tel, qu’ils ne craignent rien ; tu le dis toi-même… Presque aucune disposition militaire n’est prise… tu peux donc sans blesser en rien le point d’honneur militaire quitter ton régiment, et m’accompagner.

— Impossible, mon cher oncle… ce serait une lâcheté.

— Une lâcheté !…

— Si la république s’établit, ce ne sera pas sans coups de fusil, et j’en veux ma part… quitte à rendre politesse pour politesse à bons coups de mousqueton ! car, je vous en réponds, mes dragons chargeront cette canaille à cœur joie.

— Ainsi, tu vas défendre le trône de ces misérables d’Orléans, — s’écria le cardinal avec un éclat de rire sardonique, — toi, un Plouernel ?

— Mon cher oncle, vous le savez, je ne me suis pas rallié aux d’Orléans ; ainsi que vous, je ne les aime pas… Je me suis rallié à l’armée, parce que j’ai du goût pour l’état militaire ; l’armée n’a pas d’autre opinion que la discipline… Encore une fois, si vous voyez juste, et votre vieille expérience me fait supposer que vous ne vous trompez pas, il y aura bataille ces jours-ci… Je serais donc un misérable de donner ma démission la veille d’une affaire.

— De sorte que tu tiens extrêmement à risquer de te faire égorger par la populace sur une barricade pour le plus grand appui de la dynastie d’Orléans ?

— Je suis soldat… je tiens à faire jusqu’au bout mon métier de soldat.