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commerçants, à la veille d’être ruinés à la moindre crise ? lorsque, par peur, cupidité ou caprice de satrape, il plaît aux autocrates du capital de fermer le crédit, et de refuser nos signatures, si honorables qu’elles soient ? Est-ce que si ce crédit, au lieu d’être le monopole de quelques-uns, était, ainsi qu’il devrait l’être et le sera, démocratiquement organisé par l’État, nous serions sans cesse exposés à être ruinés par le retrait subit des capitaux, par le taux usuraire de l’escompte ou par les suites d’une concurrence impitoyable (A) ? Est-ce qu’aujourd’hui nous ne sommes pas tous à la veille de nous voir, nous vieillards, dans une position aussi précaire que celle de votre grand-père, brave invalide du travail, qui, après trente ans de labeur et de probité, serait mort de misère sans votre dévouement, mon cher Georges ? Est-ce que moi, une fois ruiné comme tant d’autres commerçants, j’ai la certitude que mon fils trouvera les moyens de gagner son pain de chaque jour ? qu’il ne subira pas, ainsi que vous, Georges, ainsi que tout prolétaire, le chômage homicide, qui vous fait mourir un peu de faim tous les jours ? Est-ce que ma fille… Mais non, non, je la connais, elle se tuerait plutôt… Mais, enfin, combien de pauvres jeunes personnes, élevées dans l’aisance, et dont les pères étaient comme moi modestes commerçants, ont été, par la ruine de leur famille, jetées dans une misère atroce… et parfois de cette misère dans l’abîme du vice, ainsi que cette malheureuse ouvrière que vous deviez épouser ! Non, non, Georges ; les bourgeois intelligents, et ils sont nombreux, ne séparent pas leur cause de celle de leurs frères du peuple ; prolétaires et bourgeois ont pendant des siècles combattu côte à côte, cœur à cœur, pour redevenir libres ; leur sang s’est mêlé pour cimenter cette sainte union des vaincus contre les vainqueurs ! des conquis contre les conquérants ! des faibles et des déshérités contre la force et le privilège ! Comment, enfin, l’intérêt des bourgeois et des prolétaires ne serait-il pas commun ? toujours ils ont eu les mêmes ennemis. Mais assez de politique, Georges, parlons de vous, de ma fille. Un mot encore, il est grave… L’agitation dans Paris a com-