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faite ainsi, et d’autres encore se feront probablement ainsi. Cependant, comme les révolutions, les insurrections, ne réussissent pas toujours, comme ceux qui jouent ce jeu-là y jouent leur tête, vous concevrez, monsieur Georges, que ma femme et moi nous serions peu disposés à donner notre fille à un homme qui ne s’appartient plus, qui, d’un moment à l’autre, peut prendre les armes pour marcher avec la société secrète dont il fait partie, et risquer ainsi sa vie en homme d’honneur et de conviction. C’est très-beau, très-héroïque, je le confesse. L’inconvénient est que la chambre des pairs, appréciant mal ce genre d’héroïsme, envoie au mont Saint-Michel les conspirateurs, à moins qu’elle ne leur fasse couper la tête. Or, je vous le demande en bonne conscience, monsieur Georges, ne serait-ce pas triste, pour une jeune femme, d’être exposée un jour ou l’autre à avoir un mari sans tête ou prisonnier à perpétuité ?

Georges, abattu, consterné, était devenu pâle. Il dit à M. Lebrenn d’une voix oppressée :

— Monsieur… deux mots…

— Permettez, dans l’instant j’ai fini, — reprit le marchand, et il ajouta d’une voix grave, presque solennelle :

— Monsieur Georges, j’ai une foi aveugle dans votre parole, je vous l’ai prouvé ; jurez-moi que vous n’appartenez à aucune société secrète, je vous crois, et vous devenez mon gendre… ou plutôt mon fils, — ajouta M. Lebrenn en tendant la main à Georges ; — car depuis que je vous ai connu… apprécié… j’ai toujours éprouvé pour vous, je vous le répète, autant d’intérêt que de sympathie…

Les louanges du marchand, sa cordialité, rendaient encore plus douloureux le coup dont les espérances de Georges venaient d’être frappées. Lui, si courageux, si énergique, il se sentit faiblir, cacha sa figure dans ses mains, et ne put retenir ses larmes.

M. Lebrenn l’observait avec commisération ; il lui dit d’une voix émue :

— J’attends votre serment, monsieur Georges.