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en face de la partie mouvante du banc de sable laissée à sec par la marée de plus en plus basse. Le soldat, possédé de colère à l’aspect d’Albinik et de sa compagne, dont il ne se voyait séparé que par un banc de sable fin et uni, laissé à sec, crut le passage facile, et s’élança… Au premier pas, il enfonça dans la fondrière jusqu’aux genoux ; il fit un violent effort pour se dégager… et disparut jusqu’à la ceinture… Il appela ses compagnons à son aide… à peine avait-il appelé… qu’il n’eut plus que la tête hors du gouffre… Elle disparut aussi… et un moment après, comme il avait levé les mains au ciel en s’abîmant, l’on ne vit plus qu’un de ses gantelets de fer s’agitant convulsivement en dehors du sable… Puis l’on n’aperçut plus rien… rien… sinon quelques bulles d’eau à la surface de la fondrière.

Les rameurs et l’interprète, saisis d’épouvante, restèrent immobiles, n’osant braver une mort certaine pour atteindre les fugitifs… Alors Albinik adressa ces mots à l’interprète :

— Tu diras à César que je m’étais mutilé moi-même pour lui donner confiance dans la sincérité de mes offres de services… Mon dessein était de conduire la flotte romaine à une perte certaine en périssant moi et ma compagne… Il en allait être ainsi… Je vous pilotais dans le chenal de perdition d’où pas une galère ne serait sortie… Lorsque nous avons rencontré l’Irlandais, il m’a appris que, rassemblés depuis hier, les vaisseaux gaulois, très-nombreux et très-bien armés, sont ancrés au fond de cette baie… à deux lieues d’ici. Apprenant cela, j’ai changé de projet, je n’ai plus voulu perdre vos galères… Elles seront de même anéanties, mais non par embûche et déloyauté… elles le seront par vaillant combat, navire contre navire, Gaulois contre Romain… Maintenant, dans l’intérêt du combat de demain, écoute bien ceci : J’ai à dessein conduit tes galères sur des bas fonds où dans quelques instants elles se trouveront à sec sur le sable. Elles y resteront engravées, car la mer descend… Tenter un débarquement, c’est vous perdre ; vous êtes de tous côtés entourés de bancs de sable mouvants, pareils à celui où vient de s’engloutir