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de prouver l’injustice de ses soupçons… Voyez-vous cet îlot… là bas… à cent longueurs de rame d’ici ?…

— Je le vois…

— Pour entrer dans cette baie, il n’y a que deux passages, l’un à droite, l’autre à gauche de cet îlot. Le sort de la flotte romaine était entre mes mains ; je pouvais vous piloter vers l’une de ces passes, que rien à la vue ne distingue de l’autre, et un courant sous-marin entraînait vos galères sur un banc de rochers… pas une n’eût échappé…

— Que dis-tu ? — s’écria l’interprète, tandis que Méroë regardait son époux avec douleur et surprise, car il semblait renoncer à sa vengeance.

— Je dis la vérité, répondit Albinik à l’interprète ; — je vais vous le prouver… Cet Irlandais connaît, comme moi, les dangers de l’entrée de cette baie, dont il sort ; je lui demanderai de marcher devant nous, en guise de pilote ; et d’avance je vais vous tracer la route qu’il va suivre : d’abord il prendra le chenal à droite de l’îlot ; il s’avancera ensuite, presque à toucher cette pointe de terre que vous apercevrez plus loin ; puis il déviera beaucoup à droite, jusqu’à ce qu’il soit à la hauteur de ces rochers noirs qui s’élèvent là-bas ; cette passe traversée, ces écueils évités, nous serons en sûreté dans la baie… Si l’Irlandais exécute de point en point cette manœuvre, vous défierez-vous encore de moi ?

— Non, par Jupiter ! — répondit l’interprète. — Il faudrait être insensé pour conserver le moindre soupçon.

— Jugez-moi donc… — reprit Albinik, et il adressa quelques mots à l’Irlandais, qui consentit à piloter les navires. Sa manœuvre fut celle prévue par Albinik. Alors celui-ci, ayant donné aux Romains ce gage de sincérité, fit déployer la flotte sur trois files, et pendant quelque temps la guida à travers les îlots dont la baie est semée ; puis il donna l’ordre aux rameurs de rester en place sur leurs rames. De cet endroit on ne pouvait apercevoir la flotte gauloise, ancrée tout