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restera debout… pas un de ses guerriers vivants… pas un de ses habitants libres !…

— Que les dieux entendent César ! — a répondu Albinik. — Que la Gaule soit esclave ou dévastée, je serai vengé du chef des cent vallées… car il souffrira mille morts en voyant asservie ou anéantie cette patrie que je maudis maintenant !

Pendant que l’interprète traduisait ces paroles, le général, soit pour mieux dissimuler ses craintes, soit pour les noyer dans le vin, vida plusieurs fois sa coupe, et recommença de jeter sur Méroë des regards de plus en plus ardents ; puis, paraissant réfléchir, il sourit d’un air singulier, fit signe à l’un de ses affranchis, lui parla tout bas, ainsi qu’à l’esclave maure, jusqu’alors assise à ses pieds, et tous deux sortirent de la tente.

L’interprète dit alors à Albinik :

— Jusqu’ici tes réponses ont prouvé ta sincérité… Si la nouvelle que tu viens de donner se confirme, si demain tu te montres habile et hardi pilote, tu pourras servir ta vengeance… Si tu le satisfais, il sera généreux… si tu le trompes !… ta punition sera terrible… as-tu vu en entrant dans le camp cinq crucifiés ?

— Je les ai vus.

— Ce sont des pilotes qui ont refusé de nous servir… On les a portés sur la croix, car leurs membres, brisés par la torture, ne pouvaient plus les soutenir… Tel serait ton sort et celui de ta compagne au moindre soupçon…

— Je ne redoute pas plus ces menaces que je n’attends quelque chose de la magnificence de César… — reprit fièrement Albinik. — Qu’il m’éprouve d’abord, ensuite il me jugera.

— Toi et ta compagne, vous allez être conduits dans une tente voisine ; vous y serez gardés comme prisonniers…

Les deux Gaulois, à un signe du Romain, furent emmenés et conduits, par un passage tournant et couvert de toile, dans une tente voisine. On les y laissa seuls… Éprouvant une grande défiance, et