— Nous sommes Bretons, — répondit Albinik. — Nous venons du camp gaulois, établi sous les murs de Vannes, à deux journées de marche d’ici…
— Pourquoi as-tu abandonné l’armée gauloise ?
Albinik ne répondit rien, développa le linge ensanglanté dont son bras était entouré. Les Romains virent alors qu’il n’avait plus sa main gauche. L’interprète reprit :
— Qui t’as mutilé ainsi ?
— Les Gaulois.
— Mais tu es Gaulois toi-même ?
— Peu importe au chef des cent vallées.
Au nom du chef des cent vallées, César a froncé les sourcils, son visage a exprimé la haine et l’envie.
L’interprète a dit à Albinik : — Explique toi.
— Je suis marin, je commande un vaisseau marchand ; moi et plusieurs autres capitaines, nous avons reçu l’ordre de transporter par mer des gens armés et de les débarquer dans le port de Vannes, par la baie du Morbihan. J’ai obéi ; un coup de vent a rompu un de mes mâts ; mon vaisseau est arrivé le dernier de tous. Alors… le chef des cent vallées m’a fait appliquer la peine des retardataires… Mais il a été généreux, il m’a fait grâce de la mort ; il m’a donné à choisir entre la perte du nez, des oreilles ou d’un membre. J’ai été mutilé… non pour avoir manqué de courage ou d’ardeur… cela eût été juste… je me serais soumis sans me plaindre aux lois de mon pays…
— Mais ce supplice inique, — reprit Méroë, — Albinik la subi parce que le vent de mer s’est levé contre lui… Autant punir de mort celui qui ne peut voir clair dans la nuit noire… celui qui ne peut obscurcir la lumière du soleil !
— Et cette mutilation me couvre à jamais d’opprobre, — s’est écrié Albinik. — À tous elle dit : Celui-là est un lâche… Je n’avais jamais connu la haine : maintenant mon âme en est remplie ! périsse cette patrie maudite, où je ne peux plus vivre que déshonoré ! pé-