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aplatis. La chaleur du vin des Gaules, dont il buvait, dit-on, presque chaque soir outre mesure, rendait ses yeux brillants, et colorait ses joues pâles ; sa figure était impérieuse, son sourire moqueur et cruel. Il s’accoudait sur son lit, tenant de sa main, amaigrie par la débauche, une large coupe d’or enrichie de perles ; il la vida lentement et à plusieurs reprises, tout en attachant son regard pénétrant sur les deux prisonniers, placés de telle sorte qu’Albinik cachait presque entièrement Méroë.

César dit en langue romaine quelques paroles à ses officiers. Ils se mirent à rire, l’un d’eux s’approcha des deux époux, repoussa brusquement Albinik en arrière, prit Méroë par la main, et la força ainsi de s’avancer de quelques pas, afin, sans doute, que le général pût la contempler plus à son aise, ce qu’il fit en tendant de nouveau, et sans se retourner, sa coupe vide à l’un de ses jeunes échansons.

Albinik sait se vaincre ; il reste calme en voyant sa chaste femme rougir sous les regards effrontés de César. Celui-ci a bientôt appelé à lui un homme richement vêtu, l’un de ses interprètes, qui, après quelques mots échangés avec le général romain, s’est approché de Méroë, et lui a dit en langue gauloise :

— César demande si tu es fille ou garçon ?

— Moi et mon compagnon, nous fuyons le camp gaulois… — répondit ingénument Méroë. — Que je sois fille ou garçon, peu importe à César…

À ces paroles, que l’interprète lui traduisit, César se prit à rire d’un rire cynique. Il parut confirmer d’un signe de tête la réponse de Méroë, tandis que les officiers romains partageaient la gaieté de leur général. César continuait de vider coupe sur coupe, en attachant sur l’épouse d’Albinik des yeux de plus en plus ardents ; il dit quelques mots à l’interprète, et celui-ci commença l’interrogatoire des deux prisonniers, transmettant à mesure leurs réponses au général qui lui indiquait ensuite de nouvelles questions.

— Qui êtes-vous ? — a dit l’interprète ; — d’où venez-vous ?