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Le locataire de ce logis, jeune homme d’environ vingt-six ans, d’une mâle et belle figure, portant la blouse de l’ouvrier, était déjà levé ; accoudé au rebord de la fenêtre de sa mansarde, il paraissait regarder attentivement la maison de M. Lebrenn, et particulièrement une des quatre fenêtres, entre deux desquelles était fixée la fameuse enseigne : À l’Épée de Brennus.

Cette fenêtre, garnie de rideaux très-blancs et étroitement fermés, n’avait rien de remarquable, sinon une caisse de bois peint en vert, surchargée d’oves et de moulures soigneusement travaillées, qui garnissait toute la largeur de la baie de la croisée, et contenait quelques beaux pieds d’héliotropes d’hiver et de perce-neige en pleine floraison.

Les traits de l’habitant de la mansarde, pendant qu’il contemplait la fenêtre en question, avaient une expression de mélancolie profonde, presque douloureuse ; au bout de quelques instants, une larme, tombée des yeux du jeune homme, roula sur ses moustaches brunes.

Le bruit d’une horloge qui sonna la demie de sept heures tira Georges Duchêne (il se nommait ainsi) de sa rêverie ; il passa la main sur ses yeux encore humides, et quitta la fenêtre en se disant avec amertume :

— Bah ! aujourd’hui ou demain, une balle en pleine poitrine me délivrera de ce fol amour… Dieu merci, il y aura tantôt une prise d’armes sérieuse, et du moins ma mort servira la liberté… Puis, après un moment de réflexion, Georges ajouta :

— Et le grand-père… que j’oubliais !

Alors il alla chercher dans un coin de la chambre un réchaud à demi plein de braise allumée qui lui avait servi à fondre des balles, posa sur le feu un petit poêlon de terre rempli de lait, y éminça du pain blanc, et en quelques minutes confectionna une appétissante soupe au lait, dont une ménagère eût été jalouse.

Georges, après avoir caché la carabine et les munitions de guerre sous son matelas, prit le poêlon, ouvrit une porte pratiquée dans la