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gauche… La mère, au contraire, les bras toujours croisés sur sa poitrine, suivait le bouclier des yeux, d’un regard si ferme, si tranquille, qu’elle ne semblait rien craindre pour son enfant.

— Rien craindre ! — s’écria Guilhern. — Voir son enfant ainsi exposé à une mort presque certaine… car il va périr…

— Mais cette mère était donc dénaturée !… — s’écria Hénory, la femme de Guilhern.

— Et pas un homme dans cette foule pour se jeter à l’eau et sauver l’enfant ! — dit Julyan en pensant à son ami. — Ah ! voici qui courroucera le bon cœur d’Armel, quand je lui dirai ce récit.

— N’interrompez donc pas à chaque instant — s’écria Joel. — Continue, ami hôte… puisse Teutâtès, qui préside aux voyages de ce monde et des autres, veiller sur ce pauvre petit !

— Par deux fois, — reprit l’étranger, — le bouclier faillit s’engouffrer avec l’enfant dans un des tourbillons du fleuve ; la mère seule ne sourcilla pas… Et bientôt on vit, voguant comme un petit esquif, le bouclier, descendre paisiblement le cours de l’eau… Alors toute la foule cria en battant des mains :

» La barque ! la barque !

Deux hommes coururent, mirent une barque à flots, et forçant de rames, ils atteignirent en peu d’instants le bouclier, et le retirèrent de l’eau, ainsi que l’enfant, qui s’était endormi…


— Grâce aux dieux, il est sauvé ! — dit presque tout d’une voix famille de Joel, comme si elle eût été délivrée d’une appréhension douloureuse.

Et l’étranger continua, s’apercevant qu’on allait l’interrompre par nouvelles questions :

— Pendant que l’on retirait de l’eau le bouclier et l’enfant, son père, Vindorix, dont les traits était devenus aussi radieux qu’ils avaient été sombres jusqu’alors, courut à sa femme, lui tendit les bras en s’écriant :