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sa fosse profonde, avec son petit enfant endormi sur son sein. Elle avait rongé ses deux bras ; elle avait déchiré sa poitrine, sa blanche poitrine jusqu’à son cœur.

» Et le seigneur évêque, quand il vit cela, se jeta à deux genoux, en pleurant sur la tombe ; il y passa trois jours et trois nuits en prières, et au bout des trois jours, tous les moines rouges étant là, l’enfant de la morte vint à bouger à la clarté des cierges, et à ouvrir les yeux, et à marcher tout droit, tout droit, aux trois moines rouges, et à parler, et à dire : — C’est celui-ci, Gonthramm de Plouernel ! »

— Eh bien ! ma fille, dit Gildas en secouant la tête, n’est-ce pas là une terrible histoire ? Que vous disais-je ? que ces porte-casques rôdaient toujours autour des jeunes filles comme des éperviers ravisseurs. Mais, Jeanike… à quoi pensez-vous donc ? vous ne me répondez pas, vous voici toute rêveuse…

— En vérité, cela est très extraordinaire, Gildas. Ce bandit de moine rouge se nommait le sire de Plouernel ?

— Oui.

— Souvent j’ai entendu monsieur Lebrenn parler de cette famille comme s’il avait à s’en plaindre, et dire en parlant d’un méchant homme : C’est donc un fils de Plouernel ! comme on dirait : C’est donc un fils du diable !

— Étonnante… étonnante maison que celle-ci, reprit Gildas d’un air méditatif et presque alarmé. Voilà monsieur Lebrenn qui prétend avoir à se plaindre de la famille d’un moine rouge, mort depuis huit ou neuf cents ans… Enfin, Jeanike, le récit vous servira, j’espère.

— Ah çà, Gildas, reprit Jeanike en riant, est-ce que vous vous imaginez qu’il y a des moines rouges dans la rue Saint-Denis, et qu’ils enlèvent les jeunes filles en omnibus ?

Au moment où Jeanike prononçait ces mots, un domestique en livrée du matin entra dans la boutique et demanda M. Lebrenn.

— Il n’y est pas, dit Gildas.