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rent solidement, mais avec grande douceur et amitié, les mains et les jambes de l’inconnu, et, malgré ses furieux efforts, le rendant ainsi incapable de bouger, le placèrent au fond du chariot, toujours avec beaucoup de respect et d’amitié, car la mâle dignité de sa figure les frappait de plus en plus.


Alors Guilhern monta le cheval du voyageur, et suivit le chariot que conduisait Joel, hâtant de son aiguillon la marche de ses bœufs, car le vent soufflait de plus en plus fort ; on entendait la mer se briser à grand bruit sur les rochers de la côte ; quelques éclairs brillaient à travers les nuages noirs, tout enfin annonçait une nuit d’orage.

Et cependant, malgré cette nuit menaçante, l’inconnu ne semblait point reconnaissant de l’hospitalité que Joel et son fils s’empressaient de lui offrir. Couché au fond du chariot, il était pâle de rage ; tantôt il grinçait des dents, tantôt il soufflait comme quelqu’un qui a fort chaud ; mais, concentrant son courroux en lui-même, il ne disait mot. Joel (il doit l’avouer) aimait beaucoup à entendre raconter ; mais il aimait aussi beaucoup à parler. Aussi dit-il à l’étranger :

— Mon hôte, car tu l’es maintenant, je remercie Teutâtès, le dieu des voyageurs, de m’avoir envoyé un hôte… Il faut que tu saches qui je suis ; oui je dois te dire qui je suis, puisque tu vas t’asseoir à mon foyer.

Et quoique le voyageur fit un mouvement de colère, semblant signifier qu’il lui était indifférent de savoir quel était Joel, celui-ci continua néanmoins :

— Je me nomme Joel… je suis fils de Marick, qui était fils de KirioKirio était fils de Tiras… Tiras était fils de Gomer… Gomer était fils de Vorr… Vorr était fils de Glenan… Glenan, fils d’Erer, qui était le fils de Roderik, choisi pour être le Brenn de l’armée gauloise confédérée, qui fit, il y a deux cent soixante-dix-sept ans, payer rançon à Rome pour punir les Romains de leur traîtrise. J’ai été nommé brenn de ma tribu, qui est la tribu de Karnak. De père en fils nous sommes laboureurs, nous cultivons nos champs de notre