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Et voilà que l’épervier est accouru comme un coup de vent ;
Et il a effrayé ma petite colombe, et l’on ne sait ce qu’elle est devenue.

— Comprenez-vous, Jeanike ? Les colombes, ce sont les jeunes filles, et l’épervier…

— C’est le dragon… Vous ne croyez peut-être pas si bien dire, Gildas.

— Comment, Jeanike, vous seriez-vous aperçue que le voisinage des éperviers… c’est-à-dire des dragons, vous est malfaisant ?

— Il ne s’agit pas de moi.

— De qui donc ?

— Tenez, Gildas, vous êtes un digne garçon ; il faut que je vous demande un conseil. Voici ce qui est arrivé : il y a quatre jours, mademoiselle, qui ordinairement se tient toujours dans l’arrière-boutique, était au comptoir pendant l’absence de madame et de monsieur Lebrenn ; j’étais à côté d’elle ; je regardais dans la rue, lorsque je vois s’arrêter devant nos carreaux un militaire.

— Un dragon ? un épervier de dragon ? hein, Jeanike ?

— Oui ; mais ce n’était pas un soldat ; il avait de grosses épaulettes d’or, une aigrette à son casque ; ce devait être au moins un colonel. Il s’arrête donc devant la boutique et se met à regarder.

L’entretien des deux compatriotes fut interrompu par la brusque arrivée d’un homme de quarante ans environ, vêtu d’un habit-veste et d’un pantalon de velours noir, comme le sont ordinairement les mécaniciens des chemins de fer. Sa figure énergique était à demi couverte d’une épaisse barbe brune ; il paraissait inquiet, et entra précipitamment dans le magasin en disant à Jeanike :

— Mon enfant, où est votre patron ? Il faut que je lui parle à l’instant ; allez, je vous prie, lui dire que Dupont le demande… Vous vous rappellerez bien mon nom, Dupont ?

— Monsieur Lebrenn est sorti ce matin au tout petit point du jour, monsieur, reprit Jeanike, et il n’est pas encore rentré.