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— Et puis, qui sait ? — ajouta Sacrovir Lebrenn avec amertume, les règlements de police sont si étranges, si despotiques, qu’il se peut qu’on ait voulu priver mon père de sa dernière consolation… Les gens qui nous gouvernent ont tant de haine contre les républicains !… Oh ! nous vivons dans de tristes temps…

— Après avoir rêvé l’avenir si beau !… — dit Georges en soupirant, — le voir sombre, presque désespéré !… M. Lebrenn ! lui ! lui ! condamné ! traité ainsi !… Ah ! cela ferait croire que le triomphe des honnêtes gens… n’est jamais qu’un accident !

— Ah ! frère ! frère ! je sens qu’il s’amasse en moi de terribles ferments de haine et de vengeance ! — dit d’une voix sourde le fils du marchand. — Avoir un jour… un seul jour !… et faire justice… dût ma vie entière se passer dans les tortures !

— Patience, — frère ! dit Georges, — patience… À chacun son heure !

— Mes enfants, — reprit madame Lebrenn d’une voix grave et mélancolique, — vous parlez de justice… n’y mêlez jamais de pensées de haine, de vengeance… Votre père, s’il était là… et il est toujours avec nous… vous dirait que le bon droit ne hait pas… ne se venge pas… La haine, la vengeance, donnent le vertige ; témoins ceux qui ont poursuivi votre père et son parti avec acharnement….. Méprisez-les… plaignez-les… mais ne les imitez pas.

— Et cependant, voir ce que nous voyons, ma mère ! — s’écria le jeune homme. — Penser que mon père… mon père !… l’homme d’honneur, de courage, de patriotisme éprouvé, est à cette heure au bagne ! et qu’on l’y laisse… et que nos ennemis éprouvent une joie féroce de l’y savoir !…

— Qu’est-ce que cela fait à l’honneur, au courage, au patriotisme de votre père, mes enfants ? — dit madame Lebrenn. — Est-ce qu’il est au pouvoir de personne au monde de flétrir ce qui est pur ? d’abaisser ce qui est grand ? de faire d’un honnête homme un forçat ?… Est-ce que vous croyez que votre père, injustement condamné, sera