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à sa propre souveraineté… La moitié de ma compagnie a partagé mon avis, suivi mon exemple ; et pendant que d’autres citoyens nous accusaient de trahison, nous, tête nue, désarmés, les mains fraternellement tendues, nous nous sommes avancés vers une première barricade ; les fusils se sont relevés à notre approche… Des mains amies serraient déjà les nôtres… notre voix était écoutée… Déjà nos frères comprenaient que, si légitimes que fussent leurs griefs, une insurrection serait le triomphe momentané des ennemis de la république… lorsqu’une grêle de balles pleut dans la barricade derrière laquelle nous parlementions. Ignorant sans doute cette circonstance, un bataillon de ligne attaquait cette position… Surpris à l’improviste, les insurgés se défendent en héros ; la plupart sont tués, un petit nombre fait prisonnier… Confondus avec eux, ainsi que plusieurs hommes de ma compagnie, nous avons été pris et considérés comme insurgés. Si je ne suis pas devenu fou d’horreur, ainsi que plusieurs de mes amis, prisonniers comme moi dans le souterrain des Tuileries pendant trois jours et trois nuits ! si j’ai conservé ma raison, c’est que j’étais par la pensée avec ma femme et mes enfants… Traduit devant le conseil de guerre, j’ai dit la vérité ; l’on ne m’a pas cru… Sans doute, quelques misérables haines de quartier, quelques basses délations de voisins avaient aggravé mon dossier… J’ai été envoyé ici… Vous le voyez, monsieur, l’on ne m’accorde pas une grâce ; on me rend une justice tardive… Cela ne m’empêche pas de vous savoir gré des démarches que vous avez faites pour moi… Ainsi donc je suis libre ?

— Monsieur le commissaire de la marine va venir vous confirmer ce que je vous annonce, monsieur. Vous pouvez sortir d’ici, aujourd’hui… à l’heure même.

— Eh bien, monsieur, puisque vous êtes si parfaitement en cour… républicaine, — reprit M. Lebrenn en souriant, — soyez assez obligeant pour demander au commissaire une faveur qu’il me refuserait peut-être.

— Je suis, monsieur, tout à votre service.