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— C’est que… — répondit M. de Plouernel en hésitant.

— C’est que ?…

— J’ai demandé…

— Vous avez demandé ? quoi, monsieur ?

— Et obtenu…

— Ma grâce !… peut-être ! — s’écria M. Lebrenn. — C’est charmant !

Et il y avait une sorte de comique si amer dans ce trait de mœurs politiques, que le marchand ne put s’empêcher de rire.

— Oui, monsieur, — reprit le général, — j’ai demandé, obtenu votre grâce… vous êtes libre… J’ai tenu à honneur de venir moi-même vous apporter cette nouvelle.

— Un mot d’explication, monsieur, — reprit le marchand d’un ton digne et sérieux. — Je n’accepte pas de grâce ; mais, quoique tardive, j’accepte une justice réparatrice…

— Que voulez-vous dire ?

— Si lors de la fatale insurrection de juin j’avais partagé l’opinion de mes frères qui sont ici au bagne avec moi, je n’accepterais pas de grâce ; après avoir agi comme eux, je resterais ici comme eux et avec eux !…

— Mais cependant, monsieur… votre condamnation…

— Est inique, en deux mots, je vais vous le prouver… À l’époque de la prise d’armes de juin, l’an passé, j’étais capitaine dans ma légion ; je me rendis sans armes à l’appel fait à la garde nationale… Et là, j’ai déclaré haut, très-haut… que c’est sans armes que je marcherais à la tête de ma compagnie, non pour engager une lutte sanglante, mais dans l’espoir de ramener nos frères, qui, exaspérés par la misère, par un déplorable malentendu, et surtout par d’atroces déceptions, ne devaient pourtant pas oublier que la souveraineté du peuple est inviolable, et que tant que le pouvoir qui la représente n’a pas été légalement accusé, convaincu de trahison… se révolter contre ce pouvoir, l’attaquer par les armes au lieu de le renverser par l’expression du suffrage universel, c’est se suicider, c’est porter atteinte