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santerie ; puis, ayant savouré son tabac en connaisseur, il ajouta :

— Fichtre ! c’est du fameux !

— Écoutez donc, sergent, — dit le père Bribri en prisant à son tour, — c’est mon luxe. Je le prends à la Civette, rien que ça !

— C’est aussi là que ma femme se fournit.

— Ah ! vous êtes marié, sergent ? Diable ! votre pauvre épouse va être fièrement inquiète !

— Oui, car c’est une brave femme ! Et si ma blessure n’est pas mortelle, il faudra, l’ancien, que vous veniez d’amitié manger la soupe chez nous. Eh ! eh !… nous parlerons de la barricade de la rue Saint-Denis en cassant une croûte.

— Vous êtes bien honnête, sergent ; c’est pas de refus. Et comme je n’ai pas de ménage, il faudra qu’en retour votre épouse et vous veniez manger avec moi une gibelotte à la barrière.

— C’est dit, mon ancien.

Au moment où le civil et le militaire faisaient entre eux cet échange de courtoisie, M. Lebrenn, pâle, et les larmes aux yeux, sortit de l’arrière-magasin, dont la porte était restée fermée jusque-là, et dit à sa femme, toujours occupée à soigner les blessés :

— Ma chère amie, veux-tu venir un instant ?

Madame Lebrenn rejoignit son mari, et la porte de l’arrière-magasin se referma sur eux. Un triste spectacle s’offrit aux yeux de la femme du marchand.

Pradeline était étendue sur un canapé, pâle et mourante. Georges Duchêne, le bras en écharpe, se tenait agenouillé auprès de la jeune fille, lui présentant une tasse remplie de breuvage.

À la vue de madame Lebrenn, la pauvre créature tâcha de sourire, rassembla ses forces, et dit d’une voix défaillante et entrecoupée :

— Madame… j’ai voulu vous voir… avant de mourir… pour vous dire… la vérité sur Georges. J’étais orpheline, ouvrière fleuriste ; j’avais eu bien de la peine… bien de la misère… mais j’étais restée honnête. Je dois dire, pour ne pas m’en faire trop accroire, que je n’avais