ment traîné par un cheval et entouré d’hommes portant des torches.
Dans cette charrette était entassé un monceau de cadavres.
Un homme, d’une taille énorme, coiffé d’un berret écarlate, nu jusqu’à la ceinture, la poitrine déchirée par une blessure récente, se tenait debout sur le devant du camion, et secouait une torche enflammée.
On l’eût pris pour le génie de la vengeance et de l’insurrection.
À chaque mouvement de sa torche, il éclairait de lueurs rouges ici des têtes blanches de vieillards souillées de sang, là le buste d’une femme, aux bras pendants et ballottants comme sa tête livide et ensanglantée, que voilaient à demi ses longs cheveux dénoués.
De temps à autre l’homme au berret écarlate secouait sa torche et s’écriait d’une voix tonnante :
— On massacre nos frères ! Vengeance !… Aux barricades !… aux armes !
Et des milliers de voix, frémissantes d’indignation et de colère, répétaient :
— Vengeance !… aux barricades !… aux armes !…
Et des milliers de bras, ceux-ci armés, ceux-là désarmés, se dressaient vers le ciel sombre et orageux, comme pour le prendre à témoin de ces serments vengeurs.
Et la foule exaspérée que recrutait ce funèbre cortège allait toujours grossissant. Il avait passé comme une sanglante vision devant le marchand et son fils. Leur première impression fut si douloureuse, qu’ils ne purent trouver une parole ; leurs yeux se remplirent de larmes en apprenant que ce massacre de gens inoffensifs et désarmés avait eu lieu sur le boulevard des Capucines.
À peine la voiture de cadavres eut-elle disparu, que M. Lebrenn saisit une des barres de fer de la fermeture de son magasin, la brandit comme un levier au-dessus de sa tête, et s’écria en s’adressant à la foule indignée :
— Amis !… la royauté engage la bataille en massacrant nos