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une colère impuissante et d’accepter de bonne grâce ce à quoi elle ne pouvait s’opposer, lui dicta une épître charmante pour M. Dumirail et pour sa femme, et persuada madame San-Privato qu’elle devait précieusement ménager l’affection de son frère : il ne dépensait pas le tiers de ses revenus, et elle pourrait s’adresser à lui en toute confiance de réussite, pour obtenir, le cas échéant, des prêts d’argent, ressource qu’elle ne devait nullement dédaigner, sa situation pécuniaire pouvant un jour devenir fort gênée. — « Du reste, — ajoutait M. de Bellerive, — rien n’empêchait madame San-Privato de conserver, de nourrir une rancune très-légitime contre sa belle-sœur et contre son fils ; de satisfaire cette animosité, si l’occasion s’en présentait ; mais elle devait, en attendant cette occasion, considérer M. Dumirail uniquement au point de vue des sommes que l’on espérait au besoin tirer de lui… »

Ces conseils furent suivis ; M. et madame Dumirail ne soupçonnèrent jamais la jalousie haineuse dont était possédée à leur égard madame San-Privato ; et, le désordre de ses affaires empirant chaque jour, elle obtint de l’affectueuse générosité de son frère plusieurs prêts ou plutôt plusieurs dons importants. Et M. de Bellerive de dire à son ancienne maîtresse :

— Eh bien, ma chère, avais-je tort de vous déconseiller une rupture ouverte avec votre frère ? N’aurait-ce pas été tuer la poule aux œufs d’or ? Est-ce que vous vous sentez engagée envers lui par l’argent qu’il vous prête ? Est-ce que vous ne conservez pas votre liberté d’action et d’aversion contre votre belle-sœur, en attendant de lui jouer quelque tour sanglant ?

L’on peut, d’après ces honnêtes conseils, juger M. de Bellerive. Il appartenait à cette vieille école de roués diplomatiques, prétendus élèves de M. de Talleyrand, et fut l’éducateur moral d’Albert San-Privato ; cette éducation porta les fruits qu’elle devait porter…

Cela dit pour l’intelligence de ce qui va suivre, nous continuons notre récit.