que jamais par toi et pour toi ; me réjouir, dans mon amour et dans mon orgueil, d’avoir pour amant le premier homme d’État de son pays, et être assez riche pour encadrer mon amour d’une splendeur princière… Ah ! c’est surtout aujourd’hui que je suis heureuse de posséder une grande fortune, car, sais-tu, d’après le dernier inventaire de M. Thibaut, à quel chiffre s’élèvent mes revenus ?
San-Privato, souriant. — Voyons le chiffre.
Madame de Hansfeld. — Cent sept mille livres de rente, sans compter cet hôtel et mes pierreries…
Un valet de chambre, entrant après avoir frappé. — M. Richard d’Otremont demande si madame la baronne peut le recevoir ?
Madame de Hansfeld, avec impatience. — Est-ce que vous avez dit à M. d’Otremont que j’étais chez moi ?
Le valet de chambre. — Madame ne m’ayant pas donné d’ordre contraire…
Madame de Hansfeld, à San-Privato. — Il y a des siècles que je n’ai vu M. d’Otremont ; nous nous sommes quittés très en froid, je ne sais quel peut être l’objet de sa visite.
San-Privato. — On a répondu que vous étiez chez vous… Vous ne pouvez guère vous dispenser de recevoir M. d’Otremont.
Madame de Hansfeld, au valet de chambre. — Faites entrer. (Le serviteur sort.) Richard ne m’a jamais, je crois, pardonné d’avoir failli être l’instrument de nos projets, lors de ce duel, tu te rappelles ?
San-Privato, se levant. — Oui ; mais je te quitte… D’Otremont m’est d’ailleurs aussi profondément antipathique que me l’était son ami Charles Delmare, probablement défunt à l’heure qu’il est.
Le valet de chambre, annonçant. — M. d’Otremont.
Richard entre dans le boudoir. L’expression de ses traits est froide et sardonique ; il semble à la fois surpris et satisfait de rencontrer San-Privato ; celui-ci s’est levé et dit en se dirigeant vers la porte du boudoir :
— Bonjour et adieu, cher monsieur d’Otremont.
D’Otremont. — Bonjour, mais non pas adieu, monsieur San-Privato…
San-Privato. — Comment cela ?
D’Otremont. — J’ignorais votre retour de Berlin et ne m’attendais pas au plaisir de vous voir ici. Je tiens à profiter de la bonne fortune que m’offre le hasard…
San-Privato. — Vous êtes trop aimable, mais je suis obligé de quitter madame.