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et de mon cousin, arrivée dont ce matin encore je me réjouissais.

— D’où venait ce revirement, mon ami ?

— Que sais-je, mon père ! J’aurais voulu rester seul, m’isoler, m’absorber dans mon amour pour Jeane : la présence de ma tante et d’Albert devait forcément me distraire de mes pensées ; il me faudrait m’occuper de nos hôtes ; ils causeraient dans notre maison, ordinairement si tranquille, une animation, un mouvement inaccoutumé ; ce mouvement me serait d’autant plus désagréable que, dans ma disposition d’esprit, je ressentais un inexprimable besoin de solitude et de silence.

― Je partageais, sans les connaître, toutes les impressions de Maurice, — ajouta naïvement Jeane. — Peu de temps avant l’arrivée de ma tante San-Privato, j’ai rencontré Maurice sous le vestibule ; il m’a dit, d’un air tout attristé : « Voici ma tante et mon cousin, on aperçoit leur voiture au bas de la montée ; ils seront tout à l’heure ici. — Quel ennui ! » ai-je répondu à Maurice presque malgré moi, car cela était désobligeant pour nos parents. « Vraiment, reprit Maurice, cette visite te contrarie aussi ? Pourquoi te contrarie-t-elle ?… » Je n’ai pas osé lui répondre que c’est qu’il me semblerait, comme à lui, que nous serions moins seuls…

— Je comprends à merveille votre commun désir de vous isoler dans la douceur de votre nouveau sentiment, — reprit M. Dumirail.

Et, jetant à sa femme un regard d’intelligence, il ajouta :

— Et en suite de l’arrivée de nos parents ici, quelles ont été vos impressions, en outre de cette contrariété que vous causait leur venue ?

— J’ai d’abord oublié cette contrariété en serrant la main d’Albert avec un grand plaisir, — reprit Maurice ; — je n’avais pas vu mon cousin depuis quatre ans ; je l’aimais beaucoup ; je me rappelais notre intimité d’autrefois, quoiqu’il eût l’âge que j’ai maintenant et que je ne fusse alors, auprès de lui, qu’un écolier. J’ai donc d’abord oublié l’impatience chagrine que me causait sa présence ici ; mais, pendant le courant du dîner…

— Achève…

— J’hésite, mon père, parce que j’ai cédé à un instinct mauvais, mais sans doute involontaire.

― Enfin ?

— J’éprouvais toute sorte de sentiments contradictoires ; rien ne me semblait plus attachant que ce que nous racontait Albert de ses voyages, et cependant…

— Et cependant ?