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Maurice peuvent à peine s’y tenir debout et enlacés dans les bras l’un de l’autre. Tous deux sont pâles, calmes et résolus.

— Allons, Maurice, dit Jeane d’une voix ferme, voici l’heure du sacrifice et de l’expiation. Es-tu prêt ?

— Je suis prêt.

— Adieu la vie ! — dit Jeane. — Adieu la vie dont je suis lasse, lasse ! et dont j’ai tari la coupe jusqu’à la lie la plus amère.

— Adieu la vie ! — dit Maurice. — Adieu la vie, où je ne trouverais qu’opprobre et châtiments mérités.

— Mourons ensemble à la fleur de notre âge, nous qui devions vieillir ensemble..

— Un baiser, Jeane, ma fiancée, un baiser ! le premier et le dernier de notre amour, amour resté pur comme les innocentes années de notre jeunesse.

— Oui, Maurice, oui, mon bien-aimé ; mes lèvres, pour la première et dernière fois, presseront les tiennes au moment de nous précipiter dans l’espace, et, dans cet embrassement suprême, nos âmes s’exhaleront ensemble.

Maurice serre convulsivement Jeane dans ses bras ; elle ferme les yeux, tend ses lèvres au jeune homme, et, au moment où leurs bouches s’effleurent, il s’élance, entraîne Jeane avec lui, et tous deux plongent dans le vide immense béant à leurs pieds.


XXXVI

Trois jours se sont écoulés depuis le suicide de Jeane et de Maurice. Il fait nuit. On voit briller une vive lumière à travers les vitres de la chambre de Delmare.

Josette et sa mère, femme du métayer de Tréserve, causent, assises au coin de la cheminée de la cuisine. Elles sont pâles. Leurs yeux sont rougis par des larmes récentes.

— Ainsi, lorsque dimanche tu les as rencontrés près du chalet, tu ne te doutais de rien ? — demandait Josette à sa mère. —