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jamais pour moi que le plus tendre des frères… Tu me comprends, mon père ?

— Oui, Jeane, je te comprends.

— Quant à moi, en deux mots, voici ce qui me concerne. Je n’ai pas voulu, tu le sais, vivre aux dépens de mon mari ; les ressources que m’offrait ma dot sont épuisées. Ce n’est pas cependant uniquement ce manque de ressources qui me ramène ici, et je…

— Jeane, — reprend Delmare avec un accent d’affectueux reproche, — songes-tu bien à tes paroles ?

— Pardon, bon père, ce serait, je le sais, te faire injure que de te supposer capable de croire que, seul, le besoin me ramène près de toi ; je reviens ici bien résolue, ainsi que Maurice, de terminer mes jours en ces lieux, où se sont passées les plus heureuses années de ma vie.

Geneviève interrompt l’entretien de Delmare et des deux jeunes gens, en venant annoncer ainsi d’un air triomphant que le souper est servi dans la cuisine :

— J’ai fait de mon mieux ; d’ailleurs, ta fille et M. Maurice ne sont pas difficiles à contenter, mon Charles : une soupe au lait, une omelette au lard, un morceau de persillé du Jura et un pot de confitures. Il y a bon feu dans la cheminée ; à table, à table !

— Bonne mère, — dit Jeane, — je n’ai pas d’appétit ; mais Maurice, j’en suis certaine, fera honneur à votre souper ; quant à moi, je tiendrai compagnie à mon père.

— Maurice, pensant que Jeane désire s’entretenir avec Delmare, sort avec Geneviève. Le père et la fille restent seuls.

Delmare, en revoyant Jeane, fut si profondément heureux, qu’il oublia d’abord doña Juana ; puis la réflexion venant, il pensa, ainsi que l’avait pensé Richard d’Otremont, que le dénoûment de la scandaleuse existence de doña Juana était d’une simplicité presque inadmissible. D’autres vagues appréhensions l’agitaient encore ; aussi, après le départ de Maurice, attirant sa fille sur ses genoux et l’y asseyant ainsi que l’on y assoit un enfant, tandis que la jeune femme, par un mouvement plein de grâce, passait l’un de ses bras autour du cou de son père ; elle lui dit avec expansion :

— Nous voici seuls ; la présence de Maurice ne me gênait pas, sans doute ; mais il me semble qu’ainsi, tête à tête, je suis davantage à toi.

Et, baisant le front pâle et les cheveux blancs de Delmare, Jeane ajoute :

— Pauvre bon père, comme te voilà blanchi avant l’âge ! Hé-