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— Quoi ! Jeane, tu m’aimais ? — s’écria impétueusément Maurice, — tu m’aimais… et tu ne m’en disais rien ?

— Je n’osais ; j’ignorais si tes parents consentiraient à notre mariage.

— Tu peux maintenant, chère Jeane, être rassurée à ce sujet, — reprit madame Dumirail, non moins touchée, non moins heureuse que son mari de la sincérité de l’amour des deux jeunes gens ; ton oncle et moi, nous avions déjà songé sérieusement à votre union, mes enfants, persuadés qu’elle vous offrirait toutes les chances de bonheur désirables, et justement tantôt nous nous sommes longuement entretenus de nos projets avec notre excellent ami M. Delmare.

— Que pense ce cher maître ? — dit Maurice ; — approuve-t-il vos projets ?

— Il les approuve de tous points, répondit M. Dumirail ; — le seul objet de notre discussion était la question de savoir s’il fallait, vu votre extrême jeunesse à tous deux, rapprocher ou éloigner l’époque de votre mariage.

— L’éloigner, mon Dieu ! Pourquoi ce retard ? — s’écria Maurice cédant à sa fougue habituelle. — Nous sommes très-jeunes ? Eh ! tant mieux ! nous nous aimerons plus longtemps ! Jeane, Jeane, dis à mon père que ce maudit retard serait…

— Calmez-vous, monsieur l’ouragan, calmez-vous, — reprit M. Dumirail en souriant et en interrompant son fils ; — la question n’est pas tranchée négativement… tant s’en faut ; mais, en attendant qu’elle soit résolue, vous pouvez, mes enfants, vous regarder comme fiancés.

À ces mots, l’expression d’une joie céleste semble rayonner sur les traits des deux jeunes gens ; de douces larmes coulent de leurs yeux, et, trop émus pour parler, s’agenouillant devant M. et madame Dumirail, ils baisent leurs mains dans l’effusion de leur tendre reconnaissance.

— Chers… chers enfants, — dit madame Dumirail, — répondant à leurs caresses et ne pouvant, non plus que son mari, retenir des larmes d’attendrissement, — Dieu bénira votre union comme il a béni la nôtre. Ainsi que nous, vous aimerez toujours cette retraite paisible, où nous avons trouvé, où vous trouverez le bonheur, existence moins brillante que tant d’autres sans doute, mais qui vous donnera la satisfaction de l’âme, l’estime, le contentement de vous-mêmes. Aussi, le jour où vous nous fermerez les paupières, nous vous quitterons sans angoisse ; Dieu vous protégera jusqu’à la fin.