— C’est là que je t’attendais. Eh bien, mon fieu, comme tu as dix-neuf ans de moins que moi, il est sûr et certain que c’est toi qui verras clouer ma bière, et non pas moi qui verrai clouer la tienne. Réponds à cela, si tu peux, je t’en défie… Hein ! te voilà fièrement attrapé !
— Oh ! oh !
— Il n’y a pas de Oh ! oh ! c’est comme je te le dis.
— Allons donc, nourrice, — répond Delmare avec une sorte de satisfaction sinistre, — je me sens bien, moi !
— Quoi ? qu’est-ce que tu sens ?
— Je sens que je m’en vais un peu tous les jours, et que…
— Ça n’est pas vrai !… tu mens !
— Nourrice…
— Je te répète que ça n’est pas vrai, — répond Geneviève les larmes aux yeux. — Tu dis cela en plaisantant, pour me tourmenter, et puis, d’ailleurs, quand il serait vrai que tu dépéris, à qui la faute ?
— À qui ?
— Pardi ! c’est la tienne ! Est-ce qu’il y a du bon sens ?… Voilà tantôt trois mois que tu n’as mis le pied hors de la maison, tandis que l’été de la Saint-Martin a été superbe, on se serait cru au printemps, un soleil magnifique.
— J’ai maintenant horreur du soleil, tu le sais bien ; il m’offusque, il m’agace les nerfs. Le soleil est un compagnon trop gai pour moi, nourrice !
— Tu n’as pas besoin de me le dire, puisque tu tiens toujours tes persiennes fermées ; ce qui fait qu’en plein jour ton cabinet est quasi aussi noir qu’une tombe.
— Ah ! la tombe !… il ne faut point, nourrice, médire de cette bonne et paisible tombe, si hospitalière, si secourable à ceux qui souffrent : elle ne demande qu’à les recevoir !
— Chacun choisit son gîte à son goût ; mais, pour parler raison, je te dis, moi, que, si tu faisais quelques promenades, comme autrefois, tu te porterais mieux.
— Je ne tiens pas à me mieux porter, moi, nourrice ; au contraire.
— Ah ! c’est beau, ce que tu dis là !
— D’ailleurs, rien ne me paraît plus odieux maintenant que la vue des lieux environnants et de ces montagnes que j’ai tant de fois parcourues avec Jeane et Maurice.
— Ce sont là de mauvaises raisons.
— Je t’assure que…
— Encore une fois, ce sont là des raisons de paresseux. Tu