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tails, des détails… qui auraient augmenté mon estime pour certains côtés de votre caractère, si elle pouvait l’être ; mais il résulte des confidences de votre notaire…

— Que résulte-t-il, Richard ?

— Je vous en conjure, ne voyez rien d’indiscret, rien de choquant dans ce que je vais vous dire.

— Allons, mon ami, ayez donc plus de confiance en moi et en vous ! à quoi bon ces hésitations ?… Parlez sans crainte, sans détour.

— Il est vrai, Jeane, ces hésitations de ma part sont une injure pour nous deux, et j’achève. Or, j’ai appris de M. Thibaut que votre fortune personnelle s’élevait, lors de votre mariage, à trente et quelques mille francs, et que, cette année, il vous avait envoyé les derniers fonds qu’il eût encore à vous.

— C’est parfaitement exact, mon ami.

— Ces derniers fonds n’étaient pas considérables ?

— Trois mille francs environ, sur lesquels il me reste encore trente louis.

— Trente louis, mon Dieu !… trente louis !…

— D’où vient votre surprise, et surtout cette expression de chagrin que je vois sur votre figure, mon ami ? Quoi d’étonnant à ce que j’aie dépensé mille écus en six mois pour subvenir à mes besoins ?

— Tel n’est pas le sujet de ma surprise et de mes inquiétudes, Jeane.

— Quel est-il donc ?

— Au temps de votre mariage avec M. San-Privato, votre délicatesse était telle, que vous teniez à honneur de vous suffire à vous-même, grâce à votre modique fortune personnelle.

— Cette délicatesse, dont vous exagérez de beaucoup la valeur, mon ami, est, selon moi, toute simple. La femme qui joint au tort déjà si grave de tromper son mari l’indignité d’accepter de lui, non-seulement de quoi satisfaire aux dépenses de sa toilette, mais de quoi satisfaire même aux besoins de sa vie matérielle, une telle femme, à mes yeux, ne diffère en rien d’une courtisane trompant l’homme qui la paye ; le peu de fortune que je possédais me suffisait. J’aurais donc, pour mille raisons, considéré comme une infamie de coûter un sou à M. San-Privato, même pour ma nourriture et mon logis.

— Ce raisonnement est trop conséquent avec votre caractère, Jeane, pour m’étonner ; mais, par cela même que vous n’avez