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votre vaillant cœur, vous avez été le seul, le seul parmi mes anciennes connaissances (je ne leur donnerai pas le nom d’ami, ce serait prostituer ce mot divin), vous avez été, dis-je, le seul qui m’ait prouvé un intérêt sincère. Je ne fais pas ici allusion à quelques sommes que vous m’avez prêtées, mais à ces nobles conseils si dignes de votre belle et grande âme, nobles conseils, dont, hélas !… j’ai méconnu l’admirable sagesse, je l’avoue avec un remords déchirant. Oui, vous me conseilliez de m’engager soldat. Je répondais à cette proposition par de stupides et lâches objections. Heureusement, la lumière s’est faite à mes yeux, bien tardivement peut-être ; mais enfin elle s’est faite, oui, et je viens vous dire, à vous, mon noble ami, à vous, mon généreux sauveur : Je serai soldat. Je serai soldat, parce que la honteuse existence que je mène à Paris m’est insupportable ! Arrière la honte ! À moi la gloire ! à moi l’honneur de verser mon sang pour la patrie !… Oh ! je vous le jure, j’aurai bravement péri au champ d’honneur, si, dans quatre ans, l’étoile des braves ne brille pas à mon uniforme, et si je n’ai pas conquis l’épaulette à la pointe de mon sabre ! Mais, pour quitter Paris et subvenir aux frais de mon voyage, il me faudrait quelque argent. »

— Je m’en doutais : cette subite conversion me trouvait incrédule ; ces phrases emphatiques sonnent faux à mon oreille, pensait Richard.

Jeane, impassible, continuait de lire la lettre de Maurice :

« Je vous demande donc, cette fois sans honte et le front haut, de me prêter cent louis, vous donnant ma parole d’honneur, ma parole de soldat, puisque de ce jour je suis soldat, d’employer cette somme à l’usage que je vous signale, et de vous la rembourser, ainsi que mes autres dettes envers vous, lorsque j’aurai bravement conquis, au prix de mon sang, une position aussi honorable que celle où je végète maintenant est dégradante et précaire ! M’accorderez-vous ma demande ? me mettrez-vous à même, par ce généreux et dernier prêt, de pratiquer ces nobles conseils qui peignent si bien la beauté de votre âme ?… Oui ! j’ai l’espérance, que dis-je ? j’ai la certitude que vous ne me refuserez pas, parce que je connais votre cœur, parce que vous aurez foi dans mon éternelle et profonde reconnaissance, parce qu’enfin j’invoquerai près de vous le nom d’un homme qui fut votre meilleur ami et eut pour moi l’affection d’un père : j’ai nommé M. Charles Delmare. C’est à sa prière que vous avez épargné ma vie, ô mon