Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.

IX

M. et madame Dumirail, retirés dans leur chambre à coucher, causaient confidentiellement des diverses circonstances de la soirée qui venait de s’écouler. Madame Dumirail semblait pensive, presque soucieuse, tandis que son mari continuait ainsi l’entretien commencé :

— Ma sœur sera toujours la même ! désordre et vanité… Je ne sais rien depuis longtemps de l’état de ses affaires d’intérêt, mais elles doivent aller de mal en pis ; car, au commencement de cette année, je lui ai encore envoyé six mille francs qu’elle me demandait à emprunter, alléguant sa gêne momentanée, et voilà qu’elle débarque ici en poste, avec deux domestiques, au lieu de voyager tout bonnement en diligence avec une fille de chambre… Puis, à peine arrivée, bien qu’elle sache que nous dînons en famille et qu’elle connaisse la simplicité de nos habitudes, elle se pare comme une châsse ! car elle s’imagine toujours n’avoir pas dépassé la trentaine, et elle a cinquante ans bien sonnés. Pauvre Armande ! la raison lui viendra-t-elle jamais ?… Je ne l’espère plus… Son avenir m’inquiète sérieusement ! Elle avait hérité de mon père d’une fortune égale à la mienne, M. San-Privato, consul général de Naples à Paris, jouissait d’appointements considérables, possédait en outre deux cent mille francs de patrimoine ; eh bien, la femme de son côté, le mari du sien, ont tant dépensé, prodigué, gaspillé, qu’il resterait, j’en suis certain, tout au plus, clair et net, à ma sœur, une soixantaine de mille francs, si elle vendait ses dernières propriétés, surchargées d’hypothèques.

Mais, remarquant la distraction et la physionomie soucieuse de sa femme, M. Dumirail ajouta :

— Qu’as-tu, ma chère Julie ? Tu parais absorbée…

— En effet, mon ami, je suis sous l’empire d’une pensée mauvaise, ou plutôt ridiculement absurde.