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séricordieux intérêt de celui qui écoute, premier pas fait par le coupable vers l’expiation, souvent suivie de réhabilitation ! Doña Juana soupçonne vaguement la pensée secrète de Richard, et lui dit :

— Mon ami, j’ai pour vous trop d’affection, trop d’estime pour jamais risquer de vous imposer un rôle en désaccord avec votre dignité. Je comprends les légitimes susceptibilités d’une âme aussi élevée que la vôtre. Je dois donc vous déclarer, Richard, et, vous le savez, je n’ai jamais menti, je dois donc vous déclarer que je viens ici afin de m’entretenir avec vous de Maurice ; mais j’ajoute qu’il n’a pas été mon amant, et que, quoi qu’il advienne, il ne le sera jamais. Cependant, je vous l’avoue, il a eu mon premier amour de jeune fille ; le ressouvenir de ce noble et chaste amour a surnagé au flot de désordres qui m’a entraînée. Oui, Richard, et, si morte que je sois aux sensations, c’est uniquement grâce à ce souvenir, dont je puis m’enorgueillir, à ce lien du cœur, remontant à un temps bien lointain déjà, que je tiens encore à la vie par quelque attache. Ainsi, mon ami, que votre amour-propre, non… que votre légitime susceptibilité se rassure : vous ne pouvez considérer Maurice comme un rival, ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir.

— Je vous crois, Jeane, et vous remercie de m’épargner ainsi un doute pénible.

— Enfin, je ne vous le cache pas, le but de ma visite est de me renseigner auprès de vous très-minutieusement sur Maurice. Vous appartenez, ou du moins vous apparteniez à la même société ; vos rapports, malgré la différence de vos âges, étaient fréquents ; vous connaissez le monde et les hommes, votre jugement est sûr, vous m’inspirez une confiance absolue : c’est donc à vous seul que je pouvais m’adresser pour obtenir les informations que je viens vous demander à mon retour d’un voyage qui, pendant trois ans, m’a tenue éloignée de la France et de Paris. Un dernier mot, mon ami : si vous éprouvez la moindre répugnance à répondre à mes questions, je n’insisterai pas. J’admets, j’accepte d’avance tous les motifs qui peuvent causer votre refus ; je devrai du moins à cette visite le plaisir d’avoir encore une fois serré votre loyale main, et pu vous assurer de mon inaltérable amitié.

— Mon attachement égale le vôtre, Jeane, soyez-en certaine ; je regrette que le service dont il s’agit, puisque vous appelez cela un service, se borne à si peu de chose. Je suis donc très-disposé à vous satisfaire en vous renseignant sur Maurice ; seulement…

— Vous hésitez ? Achevez, de grâce…

— Eh bien ! connaissant, à cette heure, le vif intérêt que vous