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— Commettre un faux pour récupérer une partie de cette somme, c’est infâme, et, de plus, c’est stupide ! Il fallait intenter une action judiciaire à la baronne.

— Est-ce que je le pouvais ? La misérable, abusant de ma crédulité, de ma bonne foi, s’était mise en règle avec moi. J’ai consulté un avoué : toute poursuite eût été inutile.

— Alors on subit en honnête homme les conséquences de sa sottise, et l’on ne s’embarque pas dans la voie qui mène droit aux galères !

Maurice commençait à croire sa position désespérée, car, loin de compter sur le pardon de madame de Hansfeld, si elle était instruite des faits, il songeait au contraire à la cruelle joie qu’elle éprouverait, ainsi que San-Privato, en l’envoyant, lui, Maurice, sur le banc des criminels. Dominant donc encore les bouillonnements de sa fureur croissante, il tenta une dernière fois d’apitoyer le notaire, et lui dit les mains jointes :

— Je vous en supplie, ne me perdez pas ! ayez pitié de moi !…

— Pitié de vous ! qui, déjà couvert d’opprobre et vivant aux dépens d’une vieille femme, devenez faussaire !

— Eh ! monsieur, je sentais cet opprobre, — s’écria Maurice hors de lui, — et, dans un moment de sincérité involontaire, je voulais échapper à…

— Échapper à l’abjection par le crime !… C’est là votre excuse ?

— Une dernière fois, je vous en conjure, ne me perdez pas !… — répète Maurice d’un ton suppliant, mais que démentait l’expression de plus en plus redoutable de ses traits. — Je quitterai Paris aujourd’hui, vous n’entendrez plus parler de moi ; mais ne me perdez pas ! Ne me poussez pas à bout… Prenez garde… oh ! prenez garde !…

La nuit s’approchait, le cabinet s’obscurcissait de plus en plus ; le notaire, remarquant l’air menaçant de Maurice, qu’il ne quittait plus du regard, a fait glisser la lettre contrefaite dans le tiroir où sont les pistolets ; il a derrière lui, à sa portée, le cordon de la sonnette qui communique à son étude, et il répond :

— Monsieur Dumirail, il faut un exemple qui serve aux fils de famille… Ils verront où peuvent les conduire les désordres. Ma plainte sera déposée demain au parquet.

Maître Thibaut, bonhomme au fond, malgré le dégoût et l’indignation que lui inspiraient les actes de Maurice, n’était pas décidé à déposer sa plainte ; il voulait seulement, ainsi que l’on dit, donner une leçon à ce malheureux. La spoliation dont il avait été