Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la réplique à son fils, afin de le mettre en valeur, voulait amener la conversation sur les différents pays où il avait successivement résidé avant d’être secrétaire de l’ambassade de Naples à Paris ; car sa carrière diplomatique l’avait tour à tour conduit en Russie, au Mexique, en Allemagne et en Toscane. Albert essaya de décliner la secrète sollicitation de sa mère et de changer brusquement le cours de l’entretien en disant à M. Dumirail :

— Avant de quitter Paris, mon cher oncle, j’ai rencontré chez M. le ministre des affaires étrangères M. de Morainville ; je lui ai demandé ses commissions pour vous en lui apprenant que je venais passer un mois ici. Il m’a chargé de vous réitérer l’assurance de sa vive et constante amitié, se mettant toujours à votre service. Or, à ce sujet, mon cher oncle, j’ai peut-être commis une indiscrétion.

— Comment cela, mon ami ?

M. de Morainville, par son extrême influence à la chambre et par sa haute position au ministère des affaires étrangères, jouit d’un très-grand crédit. Je me suis permis de m’autoriser auprès M. de Morainville des liens de famille qui m’unissent à vous pour lui recommander très-instamment la prise en considération d’une pétition très-importante relative aux intérêts de plusieurs de mes nationaux.

— Je serais enchanté, mon cher Albert, que, grâce à moi, M. de Morainville pût t’être utile, à toi ou à ceux auxquels tu t’intéresses. Je n’ai ni n’aurai jamais rien à solliciter de lui, personnellement ; use donc à ton gré du peu de crédit que je puis avoir auprès de cet important personnage, à qui j’ai rendu, je l’avoue, quelques services électoraux, d’ailleurs de tout point d’accord avec mes opinions.

Madame San-Privato, devinant que son fils éludait le récit de ses voyages, revint sur ce sujet, et Albert, quoiqu’il eût, soit par modestie, soit par un autre motif, refusé de se rendre au désir de sa mère, qui voulait le faire briller aux yeux des habitants du Morillon en leur racontant ses voyages, non-seulement cette fois s’exécuta de bonne grâce, mais s’efforça de captiver son auditoire. Il y réussit, car il s’exprimait avec une facilité remarquable ; sa parole, toujours choisie, était vive et colorée. Écouté avec un intérêt croissant, il méritait de l’être : il peignait en quelques traits saisissants l’aspect, les mœurs, en un mot, la physionomie des diverses contrées parcourues par lui, abonda en anecdotes piquantes sur les cours de l’Europe qu’il avait fréquentées, disant souvent à ce propos : « L’empereur et l’impératrice de Russie