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tion. La dernière épreuve à laquelle j’ai soumis mon fils n’a que trop confirmé mes soupçons !

À mesure que ces navrantes convictions pénètrent l’âme de M. Dumirail, le caractère de sa physionomie change ; elle se pétrifie pour ainsi dire et devient d’une rigidité glaciale, d’une inflexible dureté.

— Monsieur, — reprend-il d’une voix brève et tranchante, — j’ai voulu vous éprouver… Je vous ai trompé : l’héritage de votre mère vous appartient.

— Grand Dieu ! — s’écrie Maurice, de qui les traits expriment, malgré lui, l’étonnement et la satisfaction, — est-il possible ?

— Votre héritage se monte à cinq cent mille francs environ, — poursuivit M. Dumirail impassible ; les comptes vous seront d’ailleurs fidèlement rendus, monsieur, vous devez me croire.

— Ah ! mon bon père, peut-il être jamais entre nous question de comptes ! — s’écria le jeune homme avec l’expansion, l’attendrissement, l’élan de confiance éveillés en lui par le revirement heureux et inattendu qui lui rendait l’héritage maternel.

Aussi, dans sa joie, Maurice veut témoigner sa gratitude à son père en se jetant à son cou ; mais M. Dumirail, repoussant son fils par un geste écrasant de répulsion et de dégoût, répond froidement :

— Je vous l’ai dit, monsieur, afin de vous éprouver, j’ai voulu, pendant un moment, vous laisser croire que votre mère m’avait légué ses biens. L’épreuve a dépassé mes craintes. Vous voyiez une simple question d’argent dans la mort de votre mère.

— Moi, mon Dieu !

— Vous, monsieur ; car, vous croyant déshérité, vos traits ont exprimé une consternation bien autrement profonde et sincère que celle dont vous affectiez tout à l’heure hypocritement les dehors, en apprenant que vous n’aviez plus de mère !

— Ah ! vos reproches me navrent… et je…

— Mais, — poursuivit M. Dumirail sans s’arrêter à l’interprétation de son fils, — mais, apprenant que la jouissance de l’héritage maternel vous est assurée, qu’il s’élève à plus de cinq cent mille francs, aussitôt votre front se déride, la joie vous transporte, vous reconnaissez d’avance la fidélité de mes comptes et vous voulez me sauter au cou.

— Je vous en supplie, mon père, n’interprétez pas de la sorte un mouvement de tendresse…

— De tendresse… à l’égard des cinq cent mille francs que j’aurai à vous remettre, monsieur ?… Non ! je ne doute pas de la