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mais à ce premier mouvement succéda cette réflexion péremptoire :

— Mon père est persuadé que la mort et les dernières volontés de ma mère ont opéré ce qu’il appelle ma conversion, et que mon seul désir est d’aller m’ensevelir avec lui dans son domaine pour y reprendre ma vie rustique ; il n’en est rien. Je ne veux pas m’éloigner de Paris, où mon héritage me permet de mener grand train ; il me faudra donc, si j’accompagne mon père pendant quelques jours dans sa retraite, lui déclarer tôt ou tard ma résolution ; il vaut donc mieux la lui faire connaître ici carrément et au plus tôt, s’il s’opiniâtre à vouloir retourner aujourd’hui même dans le Jura.

M. Dumirail comprenait enfin, après quelques moments de réflexion, que Maurice cachait sous un semblant d’inquiétudes filiales son inflexible volonté de demeurer à Paris. Aussi, malgré l’expérience du passé, malgré la conscience d’avoir hâté le terme des jours de sa mère, malgré le pardon, les vœux suprêmes de cette infortunée, Maurice persistait dans ses funestes errements. M. Dumirail, avant de se rendre à l’évidence de cette effrayante déception, avant de se persuader que l’âme de son fils était incurablement gangrenée, voulut tenter une dernière épreuve, cherchant encore à s’abuser lui-même et se disant qu’après tout, — et si improbable que cela parût, — il se pouvait que Maurice fût réellement à ce point soucieux de la santé de son père, que, dans sa sollicitude outrée jusqu’à l’aberration, il le menaçât de le laisser partir seul, afin de le retenir par cette crainte et de l’empêcher ainsi de commettre une imprudence presque mortelle. Mais aussi, en admettant la sincérité de ces alarmes exagérées, il était hors de doute que, si M. Dumirail persistait dans sa résolution de se mettre en route, et que son fils refusât de l’accompagner, sa sollicitude n’était qu’un prétexte pour demeurer à Paris. M. Dumirail, après un assez long silence, sonna Josette et lui dit :

— Mettez à l’instant du linge dans mon sac de nuit avec les objets de toilette nécessaires pour le voyage ; vous prendrez demain la diligence de Nantua, et vous apporterez les effets que je laisse ici. Dites au garçon d’hôtel d’aller chercher un fiacre.

Josette sortit pour exécuter ces différents ordres. M. Dumirail, s’efforçant de cacher ses secrets ressentiments, dit affectueusement à Maurice :

— Mon ami, j’emporte suffisamment de linge pour toi et pour moi ; nous ne nous arrêterons en route que pour prendre nos repas. Le fiacre que j’ai envoyé chercher nous va conduire à la poste