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t’accompagnerai pas ! — dit Maurice feignant de puiser dans sa tendresse filiale le courage de s’imposer un douloureux sacrifice. — Non ! et, quoi qu’il m’en puisse coûter, je te laisserai partir seul !

Cette espèce de menace fut involontairement accentuée par Maurice, novice encore en hypocrisie, avec une nuance de sécheresse et d’impatience dont M. Dumirail fut d’abord légèrement surpris ; mais bientôt il vit, au contraire, dans cette menace, une nouvelle preuve de l’attachement de son fils, seulement coupable, et pouvait-il l’en blâmer ? de s’exagérer outre mesure les fatigues que son père s’opiniâtrait à entreprendre, et il reprit :

— Tu me laisserais partir seul, dis-tu ?… Mais, à ton point de vue même, et en admettant que je commisse une imprudence, songes-y donc, cher enfant, si je tombais malade en route, est-ce que ta présence ne me serait pas alors doublement nécessaire ?

— Sans doute, — répondit Maurice assez embarrassé de l’objection ; — mais c’est justement afin que tu ne t’exposes pas à tomber malade en route, que je m’oppose de toutes mes forces à ton départ.

— Cela, mon ami, n’est pas raisonnable, et je…

— En un mot, mon père, lorsque tu seras convaincu que je n’encouragerai pas ton imprudence en t’accompagnant, il faudra bien que tu renonces à un projet qui me désole et m’effraye.

— Quoi !… tu me laisserais partir seul ?… — reprit avec une pénible hésitation M. Dumirail commençant à pressentir vaguement la cause de l’opiniâtreté de son fils à s’opposer à ce prompt départ ; — peux-tu seulement, mon enfant, concevoir une pareille pensée après toutes les raisons que je t’ai données au sujet de mon désir, mieux que cela… de la nécessité où je suis de retourner dans notre pays, puisqu’ici ma santé, ma vie, peut-être, ne résisteraient pas aux chagrins qui m’accablent ? Non, non, tu ne réfléchis pas à ce que tu dis.

— Ce que je dis, mon père, je le ferai.

— Maurice… ah ! Maurice !… — balbutia M. Dumirail, de qui les soupçons augmentaient de plus en plus, et qui, observant dès lors attentivement la physionomie de son fils, n’y trouva, pour ainsi dire, presque plus de traces de la profonde douleur dont il avait témoigné d’abord ; car il ne semblait pas même attendri, il semblait en proie à une vive impatience et à une évidente et anxieuse préoccupation. — Mon ami, — ajouta M. Dumirail d’un ton de reproche doux et triste, — je ne veux pas croire, je ne