s’aperçut pas de la pâleur livide et du morne abattement des traits de M. Dumirail : celui-ci, en six semaines, semblait vieilli de dix années ; il tressaillit, leva les yeux au ciel avec l’expression d’une profonde reconnaissance à la vue de son fils ; puis, jetant sur lui un regard rempli de tendresse, de douleur et d’angoisse, il attendit avec une inexprimable perplexité les premières paroles que celui-ci allait prononcer.
— Bonjour, mon père… Comment se porte ma mère ?
— Pauvre malheureux enfant ! il ignore tout encore : cette horrible femme, insensible à mes prières, lui a caché l’agonie de sa mère !… pensa M. Dumirail avec terreur.
Et, sans répondre à la question de son fils, il le précéda dans le salon voisin.
Les persiennes fermées ne laissaient pénétrer qu’un jour sombre et douteux dans cette pièce, où régnait un grand désordre. On voyait çà et là, sur le marbre de la cheminée ou sur une table, des fioles pharmaceutiques à moitié remplies, des morceaux de linge, des bandes de toile, et, dans un vase, l’un de ces topiques suprêmes à l’aide desquels on essaye de ranimer la vie expirante chez les mourants. La vue de ces objets, le triste demi-jour et le silence qui régnaient dans l’appartement, la physionomie de M. Dumirail, si douloureusement accablé, émurent Maurice ; son cœur se serra ; il ne douta pas que, pendant son absence, la maladie de sa mère n’eût empiré, et il dit vivement :
— Mon père, je vous ai demandé, en entrant, des nouvelles de ma mère ; comment va-t-elle aujourd’hui ?
— Elle repose… — répondit M. Dumirail d’une voix tremblante et étouffée, n’osant regarder Maurice.
Celui-ci, quelque peu mais non complétement rassuré par les paroles de son père, lui dit :
— La maladie ne s’est pas aggravée ?… Le repos que goûte ma mère lui sera sans doute favorable…
— Enfin, te voilà revenu… après nous avoir causé tant d’inquiétudes !… — reprit M. Dumirail évitant ainsi de répondre à la question de son fils, et cherchant par quelle transition il pourrait peu à peu le préparer à la connaissance de la sinistre réalité.
Maurice, n’obtenant pas de réponse aux nouvelles questions adressées par lui au sujet de la santé de sa mère, supposa, non sans vraisemblance, que son état ne devait pas avoir très-dangereusement empiré ; qu’elle goûtait sans doute un repos salutaire, et il songea dès lors à aborder le grave entretien qu’il se proposait d’avoir avec sa famille ; il remarquait d’ailleurs qu’après sa