— Malheur à nous, mon père !
— Ce nom ? Répondras-tu, à la fin ? ce nom, quel est-il ?
— San Privato !
— Hein !… tu dis ?
— Je te dis… que j’épouse San-Privato.
— Misère de Dieu ! — s’écrie Charles Delmare se dressant effrayant devant sa fille, — tu railles ou tu mens.
— Je ne mens jamais, et je n’oserais de vous, mon père, me railler.
— Jeane, je t’aime passionnément, je n’ai que toi au monde, je ne vis que par toi, que pour toi ; mais, vois-tu, si par malheur, si par impossible, car c’est impossible, cela, tu songeais seulement à épouser cet homme, j’en jure Dieu, tu ne me verrais plus, entends-tu, Jeane ? non, plus jamais, et personne, — ajoute Delmare d’un ton sinistre et significatif, — et personne ne me reverrait ?
— Mon père, mon bon père, ne me maudissez pas ; vous ignorez…
— Quoi ? qu’est-ce que j’ignore ?
Jeane garde pendant un moment le silence, en proie à une émotion violente ; elle pressent quel coup terrible sa réponse va porter à son père ; mais, voulant achever cette révélation qui les torture tous deux, elle reprend :
— Tout à l’heure, mon père, je vous disais « Vous m’avez quittée pure ; regardez-moi bien en face ; que vous semble-t-il aujourd’hui de votre fille ? »
— Encore ces paroles étranges ! — reprend Delmare avec une sombre impatience. — Eh bien, après ?
— Eh bien, mon père, votre fille est déshonorée !
— Par qui, déshonorée ?
— Par San-Privalo !
Delmare, apprenant que San-Privato a déshonoré Jeane, semble d’abord foudroyé ; puis il jette une exclamation déchirante, chancelle et s’affaisse un moment sur le bord de son lit ; mais bientôt il se relève livide, menaçant, s’élance vers la porte. Il veut l’ouvrir, elle résiste à ses efforts. Il se souvient alors que cette porte a été fermée par Jeane, et, courant à elle :
— La clef !
— Mon père !…
— La clef !
— Par pitié, écoute-moi !
— Tu refuses ?