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essais, parvint à se composer un masque enchanteur, où toutes les grâces d’une coquetterie irrésistible, toutes les spirituelles finesses d’une riante malice, aiguisée d’une ironie acérée, se joignaient, adorable contraste, à ce feu du regard qui allume les désirs dévorants.

— Bien ! doña Juana ; sache, à l’occasion, retrouver ce masque, et tu seras vengée !… — se disait Jeane se souriant à elle-même, à l’instant où madame San-Privato, sa toilette achevée, venait dans le salon rejoindre sa nièce.

Jeane, au moment où sa tante entrait dans le salon, s’éloigna de la glace qui venait de lui servir à composer le masque qu’elle garda, et, de nouveau accoudée au marbre de la cheminée, sans paraître s’apercevoir de la présence de sa tante, elle feignit d’être plongée dans une profonde rêverie.

— À quoi Jeane pense-t-elle donc ? quelle secrète contemplation peut donner à ses traits cette expression ravissante ? — se dit madame San-Privato tressaillant de surprise. — Jamais ma nièce ne m’a paru si belle, plus que belle, séduisante, irrésistible. Je suis presque éblouie ; quel regard !… Ah ! je commence à comprendre la pensée d’Albert lorsqu’il me disait : « Il y a de tout dans ces yeux-là… » Je défie l’homme le plus froid de résister à ce regard, à ce sourire. Mon Dieu ! qu’elle est donc adorable ainsi ! Pourvu que mon fils n’aille pas faire quelque folie !

Puis, haussant les épaules :

— Que je suis sotte, lui… une folie !… lui, cet homme de bronze et d’acier !

Jeane, ayant expérimenté à dessein l’effet du masque qu’elle venait de prendre, car, malgré son apparente distraction, elle observait à la dérobée sa tante et devinait quelle impression elle lui causait, Jeane parut alors sortir de sa profonde rêverie et fit quelques pas au-devant de madame San-Privato.

— Voilà qui est singulier. La physionomie de ma nièce a complétement changé, — pensait madame San-Privato.

Puis, baisant la jeune fille au front, elle ajouta :

— Bonjour, Jeane ; dis-moi donc à quoi tu pensais tout à l’heure lorsque je suis entrée ?

— À quoi je pensais ?

— Oui ; en ce moment-là ta figure était tout autre que maintenant.

— Mon Dieu ! je ne saurais positivement vous dire à quoi je pensais, sinon que je m’estimais très-heureuse de vivre désormais près de vous, chère tante.