— Qui est là ?
— Moi, ma tante, — répondit la voix de Jeane ; — je viens vous souhaiter le bonjour.
— Je suis à toi dans l’instant, ma chère ; j’achève de m’habiller ; attends-moi dans le salon, — reprit madame San-Privato.
Et elle ajouta, se parlant à elle-même :
— Je ne peux m’imaginer pourquoi ma nièce avait besoin d’un serrurier.
Pendant que madame San-Privato achevait sa toilette, Jeane l’attendait dans le salon, debout, accoudée sur le marbre de la cheminée, tenant son front appuyé dans sa main, le regard fixé sur le parquet ; elle restait immobile comme une statue ; seuls, les battements précipités de son sein et le tressaillement presque imperceptible de ses lèvres, qui frissonnaient légèrement et par intermittences, annonçaient une violente agitation intérieure et une extrême surexcitation nerveuse.
Soudain, relevant brusquement la tête et faisant face à la glace posée au-dessus de la cheminée, Jeane commença de se mirer avec une attention et une persistance singulières.
Le visage angélique de la jeune fille, encadré de ses épais bandeaux de cheveux blonds, paraissait empourpré par le feu de la fièvre. L’azur de ses grands yeux, alors humides et très-brillants, semblait aussi plus transparent que de coutume et donnait un éclat extraordinaire à son regard, rendu presque menaçant par le froncement de ses sourcils cendrés, fièrement arqués ; ses lèvres, qu’elle mordait parfois convulsivement et qui devenaient ainsi d’un rouge de sang, se contractèrent par une sorte de rictus à la fois poignant et sinistre ; mais tout à coup Jeane, continuant d’examiner attentivement ses traits réfléchis dans le miroir, remarqua, vers la naissance de son cou si élégant et si svelte, une érosion circulaire mêlée de quelques nuances bleuâtres, d’autant plus visibles que la blancheur de sa peau satinée était éblouissante.
Les traits de la jeune fille, à mesure qu’elle contemplait cette récente meurtrissure, prirent peu à peu une expression de haine tellement effrayante, que, reculant devant la glace qui reproduisait son image, Jeane murmura d’une voix sourde :
— Ah ! je me fais peur à moi-même !
Et elle ajouta d’un ton de sardonique amertume :
— Doña Juana !… doña Juana !… Il ne faut pas épouvanter ; il faut sourire, charmer, passionner, enivrer ; voyons, essayons…
Ce disant, Jeane se rapprocha du miroir, et, après maints