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un objet aussi grave que l’inconduite de la mère de sa femme ?

— Mais, madame, qui instruirait Maurice de cette triste aventure ?

— Peut-être ma sœur… car nous l’attendons ce soir, ainsi que son fils, — reprit M. Dumirail ; — et, si Maurice apprenait d’eux ces malheurs de famille, ne vous semble-t-il pas qu’il pourrait se trouver blessé de ce qu’en lui proposant d’épouser sa cousine, nous l’ayons laissé dans l’ignorance d’un fait qui pouvait modifier sa résolution ?

— Lui… votre fils… lui, tel que nous le connaissons, le croyez-vous capable de rendre Jeane solidaire de la faute de sa mère ?

— Non, assurément, mon ami ; mais alors pourquoi craindre de lui confier ce triste secret avant son mariage avec Jeane ?

— Pourquoi ?… Parce qu’il aura nécessairement alors une fâcheuse opinion de la mère de sa femme. Or, à quoi bon causer à Maurice ce chagrin ? à quoi bon le désaffectionner d’une personne de sa famille… d’une personne qu’il est habitué à respecter en entendant chaque jour Jeane parler de sa mère avec autant d’attachement que de vénération ?… À quoi bon créer un désaccord, secret, sans doute, mais regrettable, entre Jeane et Maurice, puisqu’il lui faudra la plaindre d’être ainsi aveuglée sur la valeur morale qu’elle accorde à sa mère ? Vous craignez, dites-vous, que madame San-Privato ou son fils n’instruise Maurice de ce que je vous engage à lui taire ? Soit ; mais, en ce cas, vous seriez du moins innocents de cette révélation fâcheuse, et, de plus, vous pourriez alors atténuer le mal qu’elle produirait en disant à Maurice ce que disait tout à l’heure madame Dumirail : « Que la mère de Jeane était au moins autant à plaindre qu’à blâmer. »

— Qu’en penses-tu, Julie ? — reprit M. Dumirail après un moment de silence et de réflexion ; — peut-être notre ami a-t-il raison… En ce cas, ne vaudrait-il pas mieux garder à ce sujet le silence envers Maurice ?

— Je l’avoue… je ne sais trop maintenant que résoudre, — répondit madame Dumirail au moment où Maurice entra dans le cabinet de son père, en disant :

— Voici ma tante… on aperçoit la voiture qui monte au pas la rampe de la terrasse.

Maurice prononça ces mots avec l’accent d’une sorte de contrariété, dont fut d’autant plus surpris Charles Delmare, que, dans la matinée, le jeune homme avait paru très-joyeux de la prochaine arrivée de sa tante et de son cousin.

— Allons recevoir ma sœur, — reprit M. Dumirail.