Un homme même plus expérimenté que Maurice eût été, comme lui, dupe de la tragi-comédie habilement improvisée par madame de Hansfeld. Devinant, aux premiers mots du jeune homme et à l’aspect de sa physionomie menaçante, qu’il savait tout, elle avait soudain et avec une rare présence d’esprit utilisé, au profit d’une tromperie nouvelle, les larmes que venait de lui arracher la jalousie dont elle était possédée au sujet de Jeane. Ainsi Maurice fut et devait être dupe de l’adroit manége d’Antoinette. Il se présentait à l’improviste chez elle, la trouvait pleurant de vraies larmes, pâlie par de véritables angoisses ; ces larmes, cette pâleur, elle les attribuait à l’anxiété où l’avait jetée la pensée du péril que courait Maurice en se battant pour elle. Enfin, elle feignait un moment de délire causé par la joie saisissante de revoir son amant sain et sauf. Tout cela, nous le répétons, eût paru probable et acceptable à tout autre que Maurice, et fut donc accepté par lui sans réserve, en raison de la parfaite vraisemblance des faits ; puis, parce que nous sommes toujours d’autant plus enclins à certaines croyances qu’elles caressent davantage notre orgueil, cicatrisent les blessures de notre amour-propre, ou nous rassurent sur la valeur de certaines affections douteuses, en nous persuadant qu’elles ne sont pas indignes de nous.
Madame de Hansfeld, à demi étendue sur son sofa, dans une attitude de voluptueux abandon, son beau sein soulevé par des battements précipités, sa tête charmante appuyée sur l’un de ses bras gracieusement replié, les yeux cachés par l’une de ses mains, examinait, à travers l’écartement de ses doigts, les traits de Maurice, et y lisait tour à tour l’apaisement de sa fureur, le regret douloureux d’avoir pu un instant odieusement soupçonner sa maîtresse, la joie ineffable de reconnaître son erreur, et enfin la certitude d’être plus que jamais adoré par Antoinette.
Ces diverses impressions de Maurice se résumèrent par ces mots, qu’il prononça d’une voix entrecoupée de sanglots :
— Antoinette ! reviens à toi, pardonne-moi ; j’étais un misérable fou, mon Antoinette ; je crois en toi maintenant comme je croirais en Dieu, je suis à toi pour la vie…
Maurice, s’agenouillant au pied du sofa, prit l’une des mains de la jeune femme et la porta passionnément à ses lèvres.
— Qui me parle ? est-ce un songe ? — reprit d’une voix affaiblie madame de Hansfeld, semblant sortir peu à peu d’un profond assoupissement, rassembler ses esprits et renaître à la réalité. — Je ne me trompe pas, c’est sa voix, c’est lui, c’est bien lui ! mon cœur a tressailli. Il est donc vrai, tu as échappé à ce duel ? Ah !