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donc ma faute à moi si vous ne voulez plus aujourd’hui ce que vous vouliez hier ? Dois-je être la victime de vos incroyables indécisions ?

— C’est vous, vous, qui osez nous accuser ? — s’écria M. Dumirail cédant à une colère croissante.

Mais sa femme, l’interrompant d’un geste et s’adressant à Maurice, de sa voix la plus caressante, la plus tendrement persuasive :

— Voyons, mon enfant, parlons raison. Tu veux rester à Paris ?… Et moi, je te prie, je te conjure de n’y pas rester, afin de ne pas te séparer de nous. À cela, toi, tu réponds : « Eh bien ! demeurez à Paris avec moi. » Je conçois cette réponse ; mais pourtant, si je te dis, si je te prouve que, pour mille raisons, le séjour de Paris m’est contraire, à moi, qu’il m’est funeste, qu’il me deviendrait peut-être mortel… car, enfin, je ne veux certainement pas t’inquiéter, mon enfant ; mais vois donc combien, en si peu de temps, j’ai déjà changé. Mon Dieu ! je sais que tu me reprocheras de m’alarmer sans raison à ton sujet, de me créer des fantômes, de m’exagérer outre mesure les dangers que tu peux courir à Paris. D’accord, j’avoue ma faiblesse ; mais du moins aies-en pitié, excuse-la, cette faiblesse, puisqu’elle n’est que l’exagération de ma tendresse pour toi. En un mot, que veux-tu que je te dise ? — ajouta madame Dumirail voyant avec une douleur croissante l’impassibilité de son fils. — Il me serait impossible de vivre loin de toi, tu le sais. Comment alors pourrais-tu avoir le triste courage de m’obliger à rester à Paris en y restant toi-même ? Mais figure-toi donc que je n’aurais pas un instant de repos ! Je vivrais dans des transes, dans des anxiétés continuelles : ma santé n’y résisterait pas ; non, je le sens bien, moi, je ne résisterais pas à tant de secousses, à tant d’angoisses ; je mourrais à la peine, et avant peu de temps, mon pauvre enfant, tu porterais mon deuil !

L’excellente mère, se souvenant que déjà, par une allusion à sa fin prochaine, elle avait profondément ému son fils, comptait encore, hélas ! le toucher, l’attendrir par le même moyen… mais elle comptait sans l’orgie de la veille, où Maurice, ainsi que ses compagnons de table, avait si gaiement applaudi à des historiettes parricides, et il n’en était déjà plus à sentir ses yeux devenir humides et à frémir à la seule pensée de conduire au cimetière le cercueil maternel.

Il taxa donc mentalement les paroles de sa mère d’exagération et lui répondit froidement et l’œil sec :

— Ces alarmes, ces chagrins que tu redoutes, moi seul pourrais