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atteindra la maturité de l’âge, au milieu des plus douces joies de la famille et des graves préoccupations qu’elle engendre ; il vivra, il aura vécu, dans cette solitude, aussi heureux que vous et votre douce compagne… Hâtez donc, je vous le répète, le mariage de Maurice et de Jeane… ce mariage contient en germe leur félicité à venir…

Après avoir écouté, ainsi que sa femme, avec une attention profonde, les conseils de leur ami, conseils auxquels son expérience des passions orageuses et sa connaissance des hommes donnaient une irrécusable autorité, M. Dumirail reprit :

Il faut marier Jeane et Maurice le plus tôt possible… tel était, tel est encore mon avis, mon cher Delmare, surtout après vous avoir entendu ; cependant, je diffère avec vous d’opinion, en ceci… que, sans être aveuglé par la tendresse paternelle, je suis persuadé que Maurice, doué comme il l’est par la nature, élevé comme il l’est par sa mère et par moi… enfin, profondément imbu des excellents conseils que vous lui avez souvent donnés, sortirait sans malencontre des épreuves où vous verriez pour lui une occasion possible de défaillance… mais, quoi qu’il en soit, je crois, ainsi que vous, opportun de hâter l’union de ces deux enfants, contre l’opinion de ma chère Julie… beaucoup moins rassurée que moi sur la solidité des principes de notre fils.

― Je l’avoue, malgré les réflexions de M. Delmare, ma connaissance certaine du caractère de Maurice me confirme dans mon opinion, — reprit madame Dumirail ; — plus que jamais je me demande, et je vous le demande à tous deux, est-il prudent de marier si tôt Maurice ? Ne serait-ce pas encourir une grande responsabilité que de lui confier si jeune la destinée de Jeane, notre fille adoptive ? Ne serait-il pas plus sage de retarder ce mariage de quelques années, pendant lesquelles nous pourrions du moins voir réaliser les espérances si bien fondées que nous donne notre fils ? Son caractère, complétement formé, nous offrirait alors des garanties durables pour le bonheur de Jeane.

— Madame, — reprit Charles Delmare, — votre principale objection repose sur l’extrême jeunesse de Maurice… il a vingt ans passés, admettons que vous reculiez l’époque de cette union jusqu’à ce qu’il ait vingt-quatre ans ou vingt-cinq ans ; certes, à cet âge, et ainsi que vous le dites, madame, le caractère d’un homme est désormais formé, trempé, mais à la condition expresse d’avoir été éprouvé… Or, pendant ce laps de temps, à quelles épreuves, à quelles tentations aura donc été exposé Maurice ?… Dieu merci ! à aucune. Telle est la douce uniformité de votre vie, qu’elle sera