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seils que vous m’avez encore donnés, lorsque j’arrivais tout frais débarqué du manoir d’Otremont, a été de m’engager instamment à prendre des leçons d’escrime.

— Eh bien ?

— Eh bien ! mon cher Delmare, je suis devenu l’un des premiers tireurs de Paris ; or, comme j’étais, dans ma jeunesse, fort chatouilleux sur le point d’honneur, je me serais probablement fait tuer sans mon habileté à manier l’épée. J’ai, d’ailleurs, toujours pratiqué cet axiome alors formulé par vous : « La science de l’escrime, en nous donnant conscience de notre supériorité dans les armes, doit aussi nous rendre encore plus scrupuleux en ce qui peut offenser autrui et plus conciliants au sujet de ce qui a pu nous offenser… »

— Il est vrai ; car, sans cette généreuse modération, l’homme expert dans l’escrime peut indignement, lâchement abuser de sa supériorité.

— Je n’ai pas de reproches de ce genre à m’adresser, mon cher Delmare, grâce à ma fidélité à vos préceptes ; car si j’ai eu, à mon grand regret, ainsi qu’on le dit, la main malheureuse dans plusieurs duels, je ne les ai, du moins, jamais provoqués ; j’ai toujours fait honorablement tout ce qui dépendait de moi, afin de les rendre moins meurtriers. Tenez, mon cher Delmare, l’à-propos est bizarre ; nous parlons de duels, et la fatalité veut qu’aujourd’hui ou demain…

— Vous vous battiez ?…

— Oui, et, qui pis est, l’affaire est de la dernière gravité ; j’ai été outrageusement insulté par…

Puis, réfléchissant, M. d’Otremont ajouta :

— J’y songe, vous connaissez peut-être mon adversaire ?

— Cela n’est point probable, mon cher Richard ; j’habite, je vous l’ai dit, depuis trois ans un village perdu dans les montagnes du Jura.

— Justement !… mon adversaire est un tout jeune homme… fils de l’un des plus riches propriétaires du Jura.

— Maurice Dumirail, peut-être ? — s’écria Charles pâlissant et bondissant de sa chaise, tandis que M. d’Otremont, très-surpris de la vive et soudaine émotion de son ami, lui dit :

— Ce jeune homme ne vous est donc pas inconnu ?

— Maurice Dumirail ?

— Oui ; vous semblez, mon cher Delmare, vous intéresser à lui.

Charles Delmare se recueillit pendant un moment et reprit :

— Mon cher Richard, cette affection de frère aîné… ainsi que